Loi 62, Tolérance, Prise De Conscience: Les Enjeux De La Grande Manifestation Contre Le Racisme De Montréal

Le 7 octobre 2018, la ville de Montréal a été occupée quelques heures par une manifestation contre le racisme. Cet évènement, ayant déjà eu lieu en novembre 2017, a pour objectif principal de dénoncer le racisme systémique, appeler à la tolérance, et promouvoir l’intégration. Le contexte de la récente élection du candidat de centre-droite François Legault et de son parti Coalition Avenir Québec, en tant que Premier du Québec, a cependant largement contribué à soulever la population.

Lors des élections générales du Québec, le parti de Monsieur Legault, tout juste fondé en 2011, est parvenu à former une majorité à l’Assemblée, marquant une perte inédite pour les Partis Québécois et Libéral qui n’ont pas eu de score aussi bas en plus de 50 ans. Sa remarquable ascension a généré un focus important sur le parti; mais le CAQ a d’autant plus attiré l’attention avec son projet de réforme de la loi 62 sur la neutralité religieuse.
En effet, le parti souhaite, entre autres, plus d’autonomie pour le Québec, mettre l’emphase sur la francophonie, abaisser les taxes scolaires, stimuler les investissements privés, et établir le mode de scrutin proportionnel mixte. Le nouveau dirigeant du Québec met également l’emphase sur des politiques concernant l’identité et l’immigration. D’une part, on retrouve des idées anti-immigration par la tentative de limiter l’immigration au sein du Québec, bien que cette restriction sur l’immigration semble difficile à mettre en place, compte-tenu du pouvoir limité que possède la province à ce niveau-là. D’autre part, quand il s’agit d’identité et de culture, une proposition de loi a particulièrement fait polémique: une réforme de la loi 62 sur la neutralité religieuse.

La loi 62 a été adoptée par l’Assemblée en 2017, et visait jusqu’alors à requérir un visage découvert dans les transports en commun. Néanmoins, elle a été suspendue par la Cour supérieure, et les tentatives de la ministre de le Justice du Québec, Stéphanie Vallée de faire appel, ont continuellement échoué. De fait, le CAQ souhaite réformer cette loi: elle visera cette fois à interdire le port de tout symbole religieux dans certaines fonctions publiques, en particulier au sein des forces de police et pour les enseignants. Cette politique a donc directement en ligne de mire le port de la kippa chez les hommes de religion juive, et le port du hijab chez les femmes de religion musulmane; deux communautés religieuses conséquentes au sein de la population Québécoise.

C’est donc dans le contexte houleux de ces élections générales qu’une partie de la population de Montréal a décidé de protester, en organisant une manifestation contre le racisme. Plusieurs milliers de personnes se sont ainsi réunies à la place Émile-Garcin pour participer à cette marche. De nombreuses organisations étaient présentes: Solidarité sans frontières principalement, qui est à l’initiative de la démonstration; également, des groupes Marxistes et socialistes, Antifascistes et Anarchistes, différentes organisations féministes, des militants pour les droits des LGBTQ+, des membres représentants de tribus autochtones, diverses organisations étudiantes, ainsi que des groupes religieux directement visés par la politique en question. Manon Massé, co-porte-parole du parti Québec Solidaire et nouvellement élue à l’Assemblée, était également présente.


L’évènement a débuté avec plusieurs prises de parole par des représentants autochtones, suivi de l’énonciation d’un poème par une jeune militante LGBTQ+, et une prise de parole plus générale par celle qui a menée la manifestation tout du long. Puis, les marcheurs se sont mis en route, et la marche a immédiatement été rythmée par de nombreux slogans, pendant environ deux heures. On y a entendu des invitations à rejoindre la marche, “François Legault has got to go”, “pas de racistes dans nos quartiers, pas de quartiers pour les racistes”, “so-so-solidarité”, “tout le monde déteste les racistes”, entre autres.


Vers le milieu de la manifestation, alors que la marche était encadrée par les forces de police, un jeune homme a pris la parole; il est revenu sur la mort de son oncle, Nicholas Gibbs, un jeune père de 23 ans abattu en août 2018 par la police. Cette histoire a grandement attiré l’attention des médias et de l’opinion publique en raison de ses potentielles implications racistes. Un peu plus tard, les manifestants ont fait un arrêt à la statue Sir John A. MacDonald. La statue a été vandalisée la veille et repeinte en rouge, comme pour imiter un effet ensanglanté par des membres d’un groupe anticolonialiste, afin d’attirer l’attention sur le caractère raciste de l’homme considéré comme l’un des Pères fondateurs du Canada. Finalement, la marche s’est terminée près du QG anarchiste de Montréal, sur le Boulevard Saint-Laurent.

Différents groupes religieux et politiques étaient présents. Par Derah Onuorah

La marche a eu comme ligne directrice un appel à la tolérance, mais différents messages ont été entendus en raison du contexte particulier de cette année. Pour Joseph André, montréalais depuis 30 ans, il s’agissait d’une “responsabilité en tant que citoyen”; “je crois qu’il ne faut pas attendre qu’on nous pointe du doigt et voir”, poursuit-il, tout en ajoutant qu’il espère davantage générer une prise de conscience qu’un changement à l’issue de cette manifestation. De nombreuses personnes visaient directement la loi 62 et le gouvernement de Legault, le CAQ notamment rebaptisé “CAKKK” sur certaines pancartes.

Pour d’autres, en particulier les organisateurs de cet événement, le message, s’il est amplifié par le contexte politique, va au-delà malgré tout des récentes élections: il s’agit d’un combat contre le système dans sa globalité. On peut en effet lire sur le site de la manifestation: “nous croyons que tous les partis politiques bénéficient et sont complices de la normalisation du discours xénophobe, anti-musulman et raciste au sein du discours politique populaire. Aucun parti participant au système électoral n’est exempt de cette critique.” À la fin de la manifestation, il y a eu de nouvelles prises de paroles, qui ont amenées chacunes à leur manière le combat contre le racisme à une échelle plus globale que celle du contexte politique provincial actuel. La conclusion était la même pour tous les intervenants de la fin: le racisme est un problème inhérent au système; il faut donc changer ce dernier si on espère combattre activement le racisme.

Il est à noter néanmoins que les prises de paroles se sont limitées à des groupes très à gauche; des groupes plus modérés ont manqué derrière le micro. En effet, la prise de parole peut avoir un effet contre-productif sur la manifestation, dès lors que l’on soulève des démarcations entre les manifestants. Or, dans des luttes qui s’attaquent à des considérations aussi vitales pour l’humain et la société, telle que celle contre le racisme, il est nécessaire d’aller au-delà des clivages politiques, et de s’unir le plus possible. Le but premier est d’unifier: il est nécessaire d’aller dans ce sens jusqu’au bout, et de ne pas offrir la possibilité à certains souhaitant se rallier à la cause de ne pas trouver leur place, parce qu’aucune des voix entendues ne correspondrait à leur idéologie.

Beaucoup des discours de fin ont également eu des portées économiques, et se sont notamment attaqués au libéralisme, excluant les libéraux qui prenaient malgré tout part au combat. À la fin, il n’était donc pas seulement question de rejeter l’actuel système, mais aussi de fournir des prescriptions et des solutions selon les idéologies politiques des différents groupes. Peut-être n’était-il pas lieu de chercher à donner des prescriptions anticipées lors d’une manifestation, ayant pour but initial d’enclencher un changement dans les consciences, le système et d’empêcher l’exécution de la réforme de la loi 62. Lorsque le changement sera prêt à se faire, il sera alors question de la manière dont il doit se faire.

Pour l’heure, la priorité est donc de rallier le plus grand nombre, toute orientation politique incluse, afin de générer une prise de conscience nécessaire, et faire blocus face aux politiques racistes qui tourmentent les sociétés. Car, comment mieux combattre la division que par l’union?

Edité par Laura Millo