Présence Française au Sahel: une épée à double-tranchant ?

Le 29 novembre 2019, 13 soldats français ont perdu la vie dans un accident d’hélicoptère au Mali. Faussement revendiquée par l’État Islamique, la disparition de ces soldats s’inscrit néanmoins dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, notamment contre des forces djihadistes présentes dans le désert du Sahel. La France dispose de plusieurs bases militaires au Mali, ainsi que dans des pays voisins, tels que le Tchad ou le Niger. Ces opérations, qui conservent une grande opacité, constituent la présence militaire française la plus importante à l’étranger. En effet, alors que l’Union Européenne, les Nations Unies et d’autres pays maintiennent des opérations sur place pour la stabilisation du Sahel, c’est la France qui semble de loin la plus impliquée dans la région. Sa présence est cependant de plus en plus critiquée par une portion de la population locale, et suscite des questionnements quant aux motivations de l’Hexagone, ainsi que l’efficacité véritable de cette intervention militaire.

Zone en partie désertique qui s’étend du Cap-Vert à la Corne de l’Afrique, le Sahel est une région mouvementée et instable tant au niveau politique que militaire. La majorité des pays compris dans le Sahel est dirigée par des gouvernements corrompus et sont victimes d’un développement à faible vitesse, endigué par une dépendance à l’aide étrangère. Ainsi, la région est souvent qualifiée « d’arc de crise » par les médias et politiques. Plusieurs pays sont secoués par des conflits internes, à l’image des rivalités ethniques au Mali entre les Dogons et les Peuls. Le Niger, le Tchad et le Burkina Faso connaissent des situations similaires.

Au cours de ces dernières années, le Sahel a progressivement été identifié comme le nouveau berceau du djihadisme; une insécurité qui génère des tendances interventionnistes au sein de l’Occident. Si la menace est bien présente, à l’image des 71 soldats de l’armée nigérienne qui ont été victimes d’une attaque djihadiste le 12 décembre dernier, l’omniprésence de l’armée dans la gouvernance des pays du Sahel est aussi source d’un cercle vicieux. En effet, avec cette présence accrue de l’armée surviennent des abus et une impression de gouvernance autoritaire qui déplaît à une portion notable de la population. Cet effet boule de neige contribue à nourrir la narrative rebelle et anti-gouvernementale et la naissance de tels corps dissidents profite à l’Organisation État Islamique (OEI), qui recrute une partie considérable de ces groupes d’opposition en son sein. Le Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et la Mauritanie sont les pays les plus visés par les attaques djihadistes, de par leur fragilité gouvernementale, leurs axes routiers clés au commerce de la région, et leurs ressources naturelles. C’est de là qu’est née l’initiative du G5, regroupant ces cinq États pour tenter de répondre à la menace djihadiste grandissante.

Carte des pays du G5 – CC BY SA

Sécurité et stabilité sont donc la priorité numéro un, et cette perspective semble légitimer les solutions de force. La France possède dans ce but des accords de défense avec le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon, les îles Comores, Djibouti, ou encore la Libye et la Centrafrique. Mais, depuis les années 2010, l’Hexagone s’est impliqué de manière plus substantielle afin de répondre à la nouvelle menace djihadiste. Une présence française qui est d’autant plus favorisée par les liens historiques – bien que coloniaux – avec l’Afrique francophone, puisque les dirigeants du G5 demandent eux-mêmes l’intervention de la France. Sous François Hollande sont  nées les opérations « Serval » au Mali, en 2013, puis « Barkhane » en 2014, englobant tous les pays du G5 avec l’objectif premier d’évincer les groupes terroristes de la région.

Emmanuel Macron souhaitait pourtant redéfinir ces rapports et les limites de l’intervention française lors d’un échange avec des étudiants de l’université de Ouagadougou au Burkina Faso en 2017. Il annonçait vouloir mettre fin à la « Françafrique », évoquant une relation néo-coloniale avec les pays d’Afrique francophone. En d’autres termes, les pays du G5 doivent donc être des alliés de la France à présent, et non plus simplement ses ex- « pré-carrés ». Ce discours avait été perçu comme « fondateur » et en rupture avec ceux des prédécesseurs de Macron, qui ont pourtant tous certifié vouloir promouvoir l’indépendance formelle et informelle des anciennes colonies françaises, bien qu’en maintenant des relations politiques et militaires importantes. Selon les termes de l’Armée française, l’opération Barkhane doit permettre à l’Afrique francophone d’assurer sa sécurité en autonomie, et de lui offrir une perspective nouvelle de développement. Si Macron se démarque de ses prédécesseurs avec son annonce de la fin du franc CFA, les mesures prises dans ce sens demeuraient jusqu’alors plutôt symboliques.

Troupes françaises au Tchad – CC BY 2.0 

L’accent mis sur l’approche militaire tend cependant à éclipser la diplomatie. Ainsi, le contact entre le gouvernement, l’armée et la population est limité et ne permet pas à cette dernière de comprendre et soutenir l’aide française. Qui plus est, les coûts de ces opérations relativement à leur efficacité font questionner les véritables motivations du gouvernement français dans ces interventions, et notamment sa volonté d’émanciper l’Afrique francophone une bonne fois pour toute. Ainsi, les pays du G5 témoignent depuis quelques temps d’un sentiment anti-français grandissant, comme soulevé début décembre par Emmanuel Macron. Le président français avait alors demandé à ses homologues sahéliens de “clarifier leur position” quant à la présence française, avant de les accueillir le 13 janvier dernier lors du meeting de Pau. L’une des critiques les plus vives de l’approche militaire au Sahel est qu’elle n’arrange en rien les problèmes d’ingérence et de corruption qui sont toujours au cœur du système dans ces pays. Et il va sans dire que sans le soutien des populations locales, la France aura du mal à mettre en place des mesures efficaces pour le développement de ces pays. 

Le meeting de Pau était supposé redéfinir la coopération entre la France et le G5. Certains ont déploré le retrait des présidents sahéliens vis-à-vis de leur hôte français, alors que d’autres y ont vu une vraie amélioration. Il demeure que la solution militaire divise toujours et peine à convaincre tout le monde. Bien que l’efficacité des opérations, ainsi que les véritables motivations de la France dans cette intervention restent questionnables, il est indéniable que cette présence militaire est nécessaire pour contenir la menace djihadiste. Les pays du G5 ne possèdent pas encore, pour la plupart, les capacités nécessaires à l’établissement d’une indépendance totale des forces et ressources françaises. Notamment, le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont tous trois encore largement dépendants d’aides extérieures, et ne seraient pas en mesure de se reconstruire rapidement sans une intervention externe. En revanche, l’approche strictement militaire, outre le fait qu’elle impose une perspective française en tant que solution, ne semble résoudre qu’une partie du problème de la région, et donc n’atteindre qu’une partie des prétendus objectifs de développement des pays du G5. Il est donc question de trouver un juste milieu afin d’offrir un véritable soutien sans tomber dans le néo-colonialisme à l’instar de la Françafrique. 

Le Sahel est une zone instable et fragilisée par l’héritage du colonialisme, qui éprouve de grandes difficultés à se détacher de son boulet français. La nature du conflit semble nécessiter une approche militaire traditionnelle. Pourtant, cette approche militaire profite elle-même aux djihadistes, en leurs fournissant des membres issus de forces antigouvernementales, et maintient dans une certaine mesure la poussiéreuse dynamique de la Françafrique. Compte tenu des retours encore largement mitigé sur l’approche française au Sahel, réaffirmés lors du meeting de Pau, il serait peut-être temps de repenser la solution militaire.

Featured image “Operation Barkhane” prise par US Army Africa, sous licence CC BY 2.0.

Edité par Anja Helliot