Une Europe Militaire: Poussée d’Ego de Macron, ou Véritable Nécessité?

Fin octobre, le président français Emmanuel Macron donnait une interview au journal The Economist, parue le 7 novembre, lors de laquelle il déclare la “mort cérébrale” de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Cette déclaration a été faite à la suite du  retrait des troupes américaines du Nord de la Syrie par Donald Trump, alors que le président turc Recep Tayyip Erdoğan parle d’une intervention militaire dans cette même région, dirigée contre les Kurdes. Le retrait des troupes américaines est perçu par la communauté internationale – et par le président turc – comme un “feu vert” informel adressé à Erdoğan, qui met à exécution son plan d’intervention quelques jours plus tard. Cet acte militaire, vivement condamné par la communauté internationale, créé un désaccord au sein de l’OTAN. C’est dans ce contexte de divergence grandissante des intérêts transatlantiques que Macron fait sa déclaration à caractère explosif, et invite à mettre en place un organe militaire au sein de l’Union Européenne indépendamment des Etats-Unis. Ses homologues européens, dont la chancelière allemande, Angela Merkel, pourtant alliée de la France et proche de Macron au sein de la coopération européenne, ont vivement critiqué cette vision. Macron a des considérations légitimes quant au besoin de remodeler la sécurité européenne. Cependant, est-ce qu’une Europe de la défense peut réellement voir le jour et répondre à ces besoins?

Créé en 1947, au début de la Guerre Froide, l’OTAN est un organisme né d’un besoin de former un bloc militaire européen afin de dissuader les interventions militaires soviétiques dans la région. Depuis la chute du mur de Berlin, les dynamiques géopolitiques ne s’organisent plus simplement autour de la rivalité entre deux blocs. Par la suite, une divergence d’intérêts entre d’anciens alliés, notamment issus du bloc occidental, ou “bloc de l’Ouest”, est née. Le monde s’est métamorphosé, les intérêts des membres de l’OTAN ont évolué, mais l’organisme est resté le même. Le seul terrain de commun accord subsistant semble être le rapport des pays à la Russie, à l’exception de la Turquie dont la position est ambivalente. Cela ne suffit plus à donner à l’alliance le monopole de la sécurité européenne, ni à assurer la cohésion de l’alliance. Qui plus est, l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 donne des raisons de douter de l’efficacité de l’alliance, même quand il s’agit de la Russie. 

Les intérêts des pays sont régis aujourd’hui par des rapports économiques et commerciaux et on ne peut plus attendre de tous les membres de l’OTAN qu’ils soient en parfait alignement. Petit à petit, les pays membres de l’organisation se positionnent différemment sur l’échiquier géopolitique. Néanmoins, Macron prétend que la divergence d’intérêt grandit principalement entre l’Europe et les Etats-Unis – la Turquie ayant elle-même un statut encore particulier vis-à-vis de l’Europe. En d’autres termes, l’Europe possède toujours un terrain d’entente suffisamment fort en matière d’intérêts et de politique extérieure pour former un front commun à l’échelle militaire. Ce qui devient problématique pour l’Europe, selon Macron, est donc de continuer à baser son alliance sécuritaire sur un organisme qui repose en grande partie sur la puissance militaire américaine.

 

L’OTAN possède encore à ce jour le monopole sur la sécurité européenne. Image sous licence CC BY-SA 3.0

Le concept d’une “Europe de la défense” n’a rien de novateur. Cela a déjà été essayé au sein de l’Union, puisque cela faisait partie du projet initial lors de la création de l’UE, mais n’a jamais abouti. De plus, l’OTAN a semblé assurer ce rôle en exclusivité jusque-là, laissant le projet dans l’ombre. Néanmoins, le concept a souvent été mentionné comme élément manquant à l’obtention d’une alliance européenne véritablement efficace. Compte tenu du fait que l’UE, qui vise à faire du continent Européen un bloc politique supranational et uni, se limite principalement à une union économique, l’idée d’y incorporer un corps militaire paraît intéressante. 

Il existe aujourd’hui une coopération, bien que faible, en terme de sécurité au sein de l’UE. Plus tôt dans l’année, l’Union a accepté la création d’un fonds européen de la défense, à l’échelle des services de renseignements. L’organisme Europol vise à faire collaborer les renseignements de différents pays européens, notamment pour empêcher la volatilisation de suspects au sein de l’espace Schengen. Mais ce réseau de partage est grandement rudimentaire, et n’est pas une fondation suffisante pour parler d’une Europe de la défense. Qui plus est, l’Union peine à avoir une politique extérieure unie et efficace, comme le montrent les cas récents de la Syrie ou des Balkans. Il a bel et bien un besoin de repenser la sécurité européenne, et de remodeler les institutions qui s’en chargent.

Macron pointe aussi du doigt le retard technologique de l’Europe. Les membres de l’Union ont tendance à concentrer leurs innovations dans les secteurs de l’industrie traditionnelle, plutôt que de développer leurs capacités technologiques. Sans dire qu’il faut changer du tout au tout, il est vrai que ce retard peut rapidement s’avérer coûteux d’un point de vue économique ou sécuritaire. D’autant plus que le nombre de pays développant leur artillerie digitale ne fait qu’augmenter. Les Etats-Unis et la Chine semblent être les plus avancés, mais on peut penser également aux services de renseignements israéliens qui utilisent WhatsApp comme outil d’espionnage. Il en est de même pour la Russie, qui a semblé montrer l’ampleur de son hardpower numérique au travers des campagnes de désinformation dont elle est accusée. En d’autres termes, il n’y a pas que les Etats-Unis et la Chine qui se préparent à assurer une lutte “cyber”, et l’Europe devrait se mettre au pas. 

Une métamorphose des outils qui assurent la sécurité en Europe ne semble donc pas si incongrue que ça. Les changements au sein des dynamiques géopolitiques ne permettent plus à une alliance transatlantique d’être la seule forme de coopération en terme de sécurité sur le continent. Pour autant, le projet d’une Europe de la défense semble encore utopique, et trop ambitieux pour voir le jour à court terme.

La création du Fonds européen de la défense est certes un premier pas dans cette direction, et témoigne du désir non pas seulement de Macron, mais aussi d’autres dirigeants européens, de tendre vers la direction d’un plus grand alignement des politiques de sécurité en Europe. Merkel était également en faveur de la création d’un Conseil européen de sécurité – un projet qui ressemble de très près à une version européenne du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Mais la création du Fonds, ainsi que la volonté de développer la structure de gouvernance sécuritaire, ne semblent pas dépasser le stade d’institution symbolique supplémentaire, puisque l’UE n’est toujours pas dotée d’un corps militaire adapté pour rendre cette gouvernance supplémentaire vraiment efficace. 

La coopération de 27 pays peut parfois s’avérer inefficace quand il s’agit d’obtenir un consensus. Image par Gordon Johnson.

Néanmoins, la coopération d’une vingtaine de pays reste une opération délicate, surtout au sein d’une union qui est en pleine métamorphose, entre extension et retrait – ou rejet – d’autres membres. Les faiblesses de l’Union sont mises en lumière régulièrement par la difficulté grandissante de l’Europe à gouverner, ainsi que par la portion à croissante d’eurosceptiques qui séjournent au Parlement de Strasbourg. Or ce projet, peut-être plus que n’importe quel autre, ne verra jamais le jour sans une union robuste. 

Par ailleurs, il n’est peut-être pas nécessaire de voir une armée européenne et l’OTAN comme deux organes militaires mutuellement exclusifs. Il n’est pas question d’un “ou” mais plutôt d’un “et”. Ainsi, les efforts mis en place pour former une Europe de la défense au sein de l’UE sont à encourager. En revanche, il paraît risqué de prendre le parti de faire un aparté de l’OTAN dans sa totalité, et de prétendre devoir couper court à une coopération transatlantique. Il s’agirait plutôt de  s’efforcer à maintenir une relation diplomatique forte avec les Etats-Unis, bien que Macron s’y soit évertué dès le début sans grands résultats. A terme, il est légitime de vouloir voir naître une Europe de la défense, mais dans un futur proche, il est question de poser les premières pierres de cette nouvelle forme de coopération, tout en essayant de s’accommoder au mieux de la situation au sein de l’OTAN. Après tout, l’OTAN est avant tout un forum de discussion entre ses membres, et doit continuer à être utilisé de la sorte.

L’OTAN ne semble plus être le bon organe militaire pour assurer les intérêts sécuritaires de l’Europe; en d’autres termes, les problématiques soulevées par Macron ne sont pas insensées, et il est nécessaire de chercher à remodeler la sécurité européenne. Cependant, sans le soutien des autres membres de l’Union, le projet de Macron ne verra jamais le jour, et ne sera rien de plus qu’un caprice du président français. Si certains homologues semblent témoigner d’un désir d’aller dans son sens, on est encore bien loin d’assister à la naissance d’une force armée européenne. En outre, la création d’une Europe de la défense ne semble pas encore nécessiter la disparition de l’OTAN. Si l’efficacité de l’alliance semble de plus en plus compromise d’un point de vue opérationnel, il demeure préférable de continuer à l’utiliser comme forum de discussion entre ses pays membres. Maintenir des rapports diplomatiques forts et sains est donc un priorité, plutôt que de prendre une posture provocatrice – sans armée pour assurer ses arrières.

Image de couverture: Président français, Emmanuel Macron

Edité par Salomé Moatti