Zéro émission de carbone d’ici 2060 : la Chine serait-elle trop ambitieuse?

Le 22 septembre dernier, lors du débat général de la 75e session de l’Assemblée générale de l’ONU, la Chine a annoncé qu’elle deviendra un potentiel « héros climatique » d’ici 2060 en réduisant à zéro ses émissions de CO2. En effet, le président Xi Jinping a présenté un « pic » d’émissions carbone avant 2030, en plus de présenter par la même occasion un plan de relance économique s’appuyant sur la promesse d’élimination totale de la pauvreté et du développement d’une réserve de vaccins contre la COVID-19 pour les pays en voie de développement. Mais la Chine est-elle en mesure de tenir ses promesses ? 

 

En rappelant l’accord de Paris sur le climat, le président chinois a incité la communauté internationale à s’engager davantage en faveur de la cause environnementale. Xi Jinping a précisé que cela ne pourrait se faire qu’en encourageant et en accélérant un développement durable, s’appuyant sur des concepts de libre-marché notamment en « mainten[ant] le régime commercial multilatéral dont l’Organisation mondiale du commerce est la pierre angulaire. » Un appel à la solidarité internationale pour une meilleure stratégie environnementale collective, loin de mesures unilatérales et protectionnistes : voilà en somme ce qui constituait le principal message du discours du président chinois. Une position innovante donc, pour une Chine autoritaire longtemps restée dans l’ombre du leadership américain.

Conférence des Nations unies sur les changements climatiques – COP21 (Paris, Le Bourget). Image par COP PARIS sous licence CCO 1.0 Universal.

Les efforts de la Chine quant à sa transition progressive vers les énergies renouvelables ne sont pas nouveaux. En 2014, le gouvernement a commencé à prendre la crise environnementale au sérieux après avoir constaté l’ampleur de la pollution émise par son parc automobile. En outre, elle possède désormais 18 centrales solaires implantées sur le vaste territoire chinois depuis 2016, ayant chacune des capacités allant de 0,4 à 100MW, permettant d’alimenter entre 160 et 40 000 foyers chinois. Ces centrales solaires pourraient permettre à la Chine d’éliminer plusieurs millions de tonnes de CO2 dans les 25 années à venir. 

En ciblant une neutralité carbone d’ici 2060, la Chine souhaite s’affirmer comme leader de la transition énergétique mondiale et saisir ce qui représente une opportunité économique majeure pour le pays. En 2016, la Chine aurait produit pas moins de 40% des nouvelles capacités mondiales d’énergie verte. C’est à ce jour le pays qui produit et concentre la majorité des pièces et composantes vertes et qui innove le plus en matière de technologies durables. Selon The Economist, la Chine produirait en ce moment 72% des modules solaires, 69% des batteries solaires et 45% des turbines à vent pour éoliennes dans le monde. La capacité mondiale de l’énergie photovoltaïque aurait augmenté de 50% en 2016, et la Chine serait responsable de près de la moitié de cette augmentation. L’AIE souligne notamment que « pour la première fois, les capacités d’énergies solaires ont augmenté plus rapidement que toute autre forme d’énergie, dépassant ainsi la croissance de l’énergie produite par le charbon. » Par ailleurs, la Chine contrôle la majorité de l’industrie d’épuration des minéraux nécessaires à nettoyer l’énergie afin de la rendre verte, soient le cobalt et le lithium. 

Le virage vert de la Chine ne se limite pas qu’à une transition énergétique. En effet, l’un de ses autres grands projets environnementaux serait la stabilisation du désert de Gobi, qui n’a cessé de s’étendre ces dernières années en raison de la déforestation, la surpopulation et l’agriculture intensive. Pour lutter contre cette désertification croissante, le gouvernement chinois a lancé le développement de la « grande muraille verte » : un projet de plantation d’arbres sur plus de 35 millions d’hectares d’ici 2050.  Depuis son lancement, des milliers d’hectares de désert ont cessé de s’étendre et la fréquence des tempêtes de sable s’est réduite de 20% de 2009 à 2014.

Ferme éolienne dans la province Gansu en Chine. Cette ferme renferme plus de 200 éoliennes. “Sunset on more than 200 Windturbines at Guazhou (瓜州县) wind farm, Gansu province, China” de Popolon est sous license CC BY-SA 3.0.

Si la tendance se maintient, la Chine pourrait être en mesure de se rapprocher de sa cible plus rapidement et plus efficacement que n’importe quel autre pays libéral ayant fait de semblables promesses, comme le Canada en 2009 qui a dit réduire ses émissions de 17%, mais qui ne s’est pourtant jamais rapproché de cette cible. Un gouvernement autoritaire serait-il alors plus efficace pour amorcer de réels changement en matière d’écologie qu’un pays démocratique, prônant la liberté individuelle? Le plan écologique chinois, imposé à ses citoyens plutôt que suggéré, serait-il une preuve de l’efficacité d’un autoritarisme vert face à la démocratie? Il semblerait que les dommages causés à l’environnement surviennent plus rapidement que le temps requis par les consommateurs et industries des démocraties libérales  d’accomplir une transition vers des modèles plus écologiques. Les diètes véganes, les épiceries en vrac et les valeurs environnementales qui prennent de l’ampleur au niveau individuel en Occident ont un impact somme toute minimal face aux changements structurels drastiques nécessaires au niveau sociétal. Au final, les économies du Nord continuent de renchérir les intérêts des lobbyistes et des multinationales les plus polluantes (entre autres Gazprom, Royal Dutch Shell et ExxonMobil Corp); en conséquent une véritable transition écologique et solidaire semble encore lointaine. Or, au vu des dangers imminents de l’urgence climatique, la Chine autoritaire a, elle, fait le choix de surpasser les libertés individuelles au nom d’un meilleur bien-être collectif. 

À quel prix ces initiatives se sont-elles réalisées? Dans le cas de la Grande Muraille Verte, son efficacité pourrait être remise en cause au vu de la quantité d’eau †que les arbres plantés nécessitent. Pas toujours adaptés au climat aride du désert de Gobi, de nombreux arbres sont d’ailleurs morts quelques temps après leur plantation. Reste à voir donc si la muraille verte est une solution viable à long terme. Dans la même tendance, une « taxe écologique » imposée en 2016 aux entreprises pour chaque unité d’émission polluante ne concerne que le dioxyde de soufre, et non les autres polluants atmosphériques comme le dioxyde de carbone, qui est pourtant le principal polluant atmosphérique. Par ailleurs, difficile de savoir si l’objectif  de neutralité carbone annoncé par Xi Jinping comprend toutes les émissions de CO2 ou s’il ne concerne que les émissions domestiques de carbone. Au vu des titanesques projets chinois à l’étranger, comme le développement des nouvelles routes de la Soie, il paraît difficile d’imaginer comment le pays pourrait en venir à bout sans émissions de carbone. Pour atteindre une cible de neutralité carbone d’ici 2060, il faudrait dé-carboniser la production d’électricité de la Chine au complet, dont 60% de sa production provient encore du charbon. Or, depuis le mois d’avril dernier, « la production d’électricité, essentiellement produite au charbon, a notamment augmenté de 1,2% » selon M. Shuo, expert climatique de Greenpeace.

À ce jour, sans invalider les efforts écologiques de la nation, il semble peu probable que la Chine atteigne son objectif d’ici 2060. Elle n’a pas encore identifié un plan directeur et précis pour venir à bout de son initiative, et aucune technologie présente sur le marché n’a le potentiel de faire avancer la transition énergétique à l’échelle nationale. Un brin de scepticisme est donc de mise quant à la neutralité totale de carbone dans un  futur proche, d’autant que la Chine est toujours largement dépendante de ses importations de pétrole tandis que ses entreprises sont les plus grandes émettrices de dioxyde de carbone au monde depuis 2008

Ainsi, malgré ses efforts colossaux contre le réchauffement climatique, la Chine a encore beaucoup à faire, et ce, dans une période de temps limitée, si elle envisage d’atteindre sa cible titanesque dans le prochain demi-siècle. La nature et réalisation de ce programme environnementaliste reposent tout de même sur les capacités de l’État chinois à produire des résultats et des mesures concrètes. Certes, la priorité environnementale est présente aujourd’hui, mais le sera-t-elle dans quelques années, lorsque d’autres obstacles économiques comme une autre pandémie mondiale ou des catastrophes naturelles se présenteront?

L’image de couverture « Electric Towers during Golden Hour » de Pixabay est sous licence CC0.