Alors que l’Arctique se Réchauffe, une Guerre Froide se Profile

La transformation de l’Arctique

Dans l’extrême Nord du Globe, le dérèglement climatique bat son plein.  En 40 ans, près de 3,74 millions de kilomètres carrés de mer glacée ont fondu. L’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que la moyenne globale, et pourrait disparaître d’ici l’été 2030. Un tel événement semble être  une condamnation pour la planète entière, car la surface glacée de la banquise refroidit la température globale en reflétant dans l’espace les rayons du soleil. Pourtant, au fur à mesure que la fonte progresse les puissances voisines renforcent leur positions militaires dans la région, envieuses des richesses économiques et stratégiques qu’offrira l’Arctique libéré des glaces. 

L’Arctique est une zone maritime glacée partagée entre les 5 pays qui l’entour (la Russie, les Etats-Unis, le Canada, le Danemark et la Norvège). D’après la Convention des Nations Unis sur les Droits de la Mer, ces Etats ont souveraineté sur 370 kilomètres d’espaces maritimes glacés qui s’étendent depuis leurs côtes. Ces délimitations de zones maritimes que l’on appelle Zones Economiques Exclusives (ZEE), permettent aux pays de s’y installer, d’extraire des ressources naturelles ou d’établir leurs bases militaires. Au-delà des ZEE, on retrouve  les hautes mers qui elles, n’appartiennent à personne. Pendant des siècles, les conditions météorologiques extrêmes des hautes mers Arctique ont empêché leur exploitation. Or, le dérèglement climatique a changé la donne. Ce « no man’s land » glacial est une nouvelle arène de dispute entre les grandes puissances, au sein d’un contexte international géopolitique extrêmement tendu.

Intérêts économiques en Arctique

La plupart des réserves de gaz naturel dans le monde ont été explorées et exploitées. Mais la fonte de l’Arctique dans les hautes mers libérera des immenses réserves de gaz encore inexploitées. D’après les estimations de l’US Geological Survey, l’Arctique pourrait contenir environ 90 milliards de barils de pétrole, 47 milliards de mètres carrés de gaz naturel et 44 milliards barrils de gaz naturel liquide, soit près d’un tiers des réserves mondiales. Cependant, les hydrocarbures restent difficiles à estimer, et l’environnement de la région soulève le risque de marées noires. L’intérêt économique de la région réside donc majoritairement dans l’ouverture aux nouvelles voies maritimes qui raccourciraient considérablement le trajet entre l’Asie et l’Europe. Aujourd’hui, c’est le Canal de Suez qui relie les deux continents, mais ce passage est étroit et les trafics de cargos impactent le commerce international. A travers le Canal de Suez, le trajet le Havre-Tokyo fait 20 500 km de long, mais via la route du Nord-Est, le long de la Sibérie, le trajet ne fait plus que 14 500 km de long, et pourrait accomoder les millions de tonnes de cargo par an.  

Un navire de recherche dans l’océan glacé en Arctique, photo de Stefan Hendricks, sous licence CC-BY 4.0 DEED.

Bien que la fonte de la banquise révèle l’urgence climatique, les puissances mondiales se ruent sur les enjeux économiques qu’offre l’Arctique transformé. Les disputes sont territoriales. La Russie, dotée du plus grand littoral Arctique, se place en tête de la conquête. Déjà, au sein de son territoire Arctique, dans la péninsule de Yamal, la Russie exploite la plus grande réserve de gaz naturel sur la planète. Cet Eldorado russe exploité depuis 2020, produit plus de 20% des gaz naturels du pays. La Russie, affamée par les richesses de la région revendique que le territoire lui appartient. En 2007, cette dernière plante son drapeau tricolore au fond des eaux marines à 4261 mètres de la surface, afin d’étendre son territoire Arctique et revendiquer une extension de son plateau continental. Également doté de 61 brise-glace, le Kremlin fixe la barre très haute pour sa Voix du Nord, qu’il estime pourra transporter 80 millions de tonnes d’ici 2025. Cet enjeu strategique attire l’attention de l’Asie qui devra faire face à une nouvelle concurrence en termes de transport maritime. En 2012, Singapour postule en tant que membre observateur du Conseil de l’Arctique, car la Route du Nord pourrait bientot éroder la position du pays en tant que hub mondiale transport maritime. En 2018, la Chine qui est située à plus de 1 448 millions de kilomètres du Cercle Arctique s’est nommée « État Arctique proche » afin de prendre sa part du gâteau. En effet, Xi jingping, a deja investi plusieurs milliards dans la région, une somme exorbitante, notamment dans l’exploitation de ressources.

La remilitarisation de l’Arctique, les puissances placent leurs pions 

Alors que les enjeux économiques de la région attirent de nouveaux acteurs, de part l’énorme potentiel de l’exploitation des ressources et des nouvelles voies maritimes, le contexte géopolitique entre la Russie et l’Occident augmente les tensions dans la région. L’Arctique rétrécis représente une nouvelle arène de confrontation entre les grandes puissances. De fait, les tensions et disputes territoriales dans la région pourraient-elles exploser? 

En 2014, la Russie lance son plan de remilitarisation massif de la région mais dès 2007, plusieurs anciens sites militaires soviétiques ont été rouverts. Au fin fond du desert Arctique, la où le blanc du ciel ne se distingue du sol eneigé, la Russie tend ses muscles à L’OTAN avec sa gigantesque base militaire capable d’abriter plus de 150 soldats sous les conditions extremes de la region pendant plus d’un an. Dans l’Alaska, au point le plus proche du territoire terrestre américain à la Russie, des radars construits pendant la Guerre Froide surveillent les avancés militaires Russes depuis le Nord. En effet, depuis dix ans, Moscou intensifie son offensive dans la région, là où la présence occidentale est encore limitée. En Mars 2017, la Russie lance plusieurs simulations d’attaques aériennes sur une station radar norvégienne cogérée avec les Etats-Unis. Les provocations russes ont suscité une meilleure vigilance de la part des pays de L’OTAN. En 2018, trente alliés de L’OTAN mobilisent 50 000 militaires en Norvège pour un exercice de « force et réaction rapide » dans le cas d’une opération de « haute intensité ». « Toutes nos activités, nos exercices (…), sont faits pour envoyer le message, spécialement à la Russie, que l’OTAN possède une dissuasion efficace et des moyens de défense collective » indique le patron de l’armée américaine, Joseph Dunford. 


Base militaire russe en Arctique « Trefle Arctique », Photo du Ministère de Défense Russe, Sous Licence CC BY 4.0 DEED.

Sous les -42 degrés celsius de la région, souffle un air de guerre froide. L’Arctique est située à un point critique entre les Etats-Unis et la Russie. L’Arctique, inaccessible, intouchable et innaprochable à cause de ses conditions meteorologique inhumaines, servait de barriere naturelle contre les Etats-Unis. Cependant, avec la fonte progressive de la région, la Russie et les Etats-Unis, deviennent voisins, et doivent donc mutuellement se protéger. « La grande fonte est le ‘pire cauchemar’ stratégique de la Russie» déclare Michael Kofman chercheur au CNA, car la Russie est exposée à une nouvelle arène en cas de conflit avec les Etats-Unis. La marine américaine reconnaît qu’une faiblesse dans la région met en danger la « paix et la prospérité » car les intérêts américains diffèrent radicalement des intérêts russes et chinois. La réponse des Américains fut plus tardive; c’est seulement en Janvier 2021 que les Etats-Unis annoncent leur plan de reconquête de la domination sur l’Arctique. Egalement, l’invasion russe en Ukraine, a d’autant plus ébranlé les voies de coopération et de communication entre la Russie et les Etats-Unis. Jusqu’à présent, les disputes dans la région étaient référées au Conseil de l’Arctique, un forum intergouvernemental promouvant la coopération et la stabilité de ses zones maritimes. Mais, depuis la Guerre en Ukraine, les activités du conseil ont été suspendues. 

L’invasion de l’Ukraine, l’adhesion de la Finlande et de la Suède dans L’OTAN, les ambitions chinoises et russes de routes maritimes couplé au rétrécissement de l’Arctique augmentent les tensions sur les mers glaciales. Alors que la Russie place ses pions, l’Occident se sent de plus en plus vulnérable; obligé de rééquilibrer ces avances, ce dilemme de sécurité mène à une spirale de militarisation qui augmente ainsi les risques dans la région. 

Édité par Victor Menant.

En couverture : Les forces spéciales américaines s’entraînent dans l’Arctique, Photo de l’OTAN, Sous Licence C.C BY-NC-ND 2.0 DEED.