Attaques xénophobes en Afrique du Sud : les contradictions de la nation arc-en-ciel

Actuellement, l’Afrique du Sud figure parmi les destinations les plus violentes à l’égard des  ressortissants étrangers. Depuis le 1er septembre 2019, le pays, ravagé par des émeutes contre les immigrés, compte plus de 10 morts  et 70 blessés. Dans les grandes villes de Johannesburg, Soweto et Durban, on retrouve de nombreux commerces pillés, vandalisés et même incendiés par les locaux. La majorité des émeutiers demande à ce que le gouvernement sud-africain cesse d’accueillir de nouveaux arrivants, alors que d’autres soutiennent un message plus vigoureux: “Que les étrangers retournent d’où ils viennent !” 

Après déjà deux vagues d’attaques xénophobes d’envergure alarmante en Afrique du Sud, en 2008 et en 2015, il est nécessaire de s’interroger  sur la raison pour laquelle les sud-africains insistent tant à marginaliser les immigrants et pourquoi les autorités ne parviennent pas à mettre un terme à ces attaques xénophobes, une fois pour toutes. 

Marche pour la Paix et l’Unité à Cape Town, 2010.

Pour une nation comptant plus de 50 millions d’habitants, il est difficile à croire que les 4 millions d’immigrants aient un impact aussi important sur la vie des locaux. Néanmoins, considérant le nombre de magasins régulièrement pillés appartenant aux commerçants étrangers, il est clair que les immigrés constituent la cible des manifestations. En effet  Kamrul Hasan, commerçant bengali âgé de 27 ans, explique que tous les “trois à six mois, son magasin est vandalisé”. Le 2 septembre dernier, lorsque sa boutique se fait incendier, c’est grâce à l’intervention des forces de police qu’il échappe à la mort. Sans la présence des policiers qui lançaient des balles de caoutchouc pour  apaiser les agitations, Kamrul et son oncle auraient sans doute perdu la vie compte tenu du nombre de persécuteurs qui entouraient les lieux, révèle-t-il d’un air accablé. Alors que l’expérience de Kamrul souligne l’importance d’une unité policière efficace, ce constat est  d’autant plus une évidence lorsque l’on considère les types d’agressions qui sont commises régulièrement et qui ne reçoivent aucune attention de l’autorité. Entre autres, on évoque le cas des chauffeurs de camions étrangers. D’après le rapport de Human Rights Watch , depuis le mois de mars 2018, plus de 200 chauffeurs de camion ont été déclarés morts par attaques xénophobes. On pense notamment à Tinei Takawira: un chauffeur de camion zimbabwéen s’étant fait poignardé et laissé pour mort sur un côté de l’autoroute le 25 mars dernier, alors que son ami s’était fait immolé dans son véhicule deux semaines auparavant. Durant le seul mois de mai, 60 camions ont pris feu après s’être faits attaquer par des bombes à gaz, chacune ciblées dans le but de mettre fin à la vie d’un ressortissant étranger. Le même jour de l’assassinat  de Takawira, le gouvernement a mis en place le “Plan d’Action Nationale pour combattre le Racisme, la Discrimination Raciale, la Xénophobie et toutes formes d’Intolérance”. Malgré cette initiative, promettant d’éradiquer les traitements discriminatoires envers les étrangers, la seule véritable action prise par le gouvernement a été la rupture des contrats d’emplois des chauffeurs sans papiers. 

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La Marche contre la xénophobie à Jeppe, Johannesburg, 2015

La répétition de ces incidents contribuent à un sentiment d’insécurité quotidien chez les immigrés en Afrique du Sud. Lorsqu’on interroge les émeutiers sud-africains quant à  leurs motivations, plusieurs affirment qu’ils ne parviennent pas à trouver d’emplois car “ce sont les étrangers qui profitent de meilleures opportunités”. Les agresseurs xénophobes sont ainsi convaincus que limiter l’accès des immigrés au marché de travail, en incendiant leurs commerces par exemple, leur permettra de contrer les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. 

La vague récente d’émeutes est loin d’être la première qu’ait connu le pays. C’est en 2008 que les émeutes avaient été les plus violentes avec 62 assassinats d’étrangers, pour seul motif de xénophobie. A l’époque, le parti politique du Congrès National Africain (ANC) ainsi que le gouvernement de la province de Gauteng soutenaient que les tendances xénophobes des sud-africains n’avaient rien d’anodin, mais plutôt qu’une “main invisible”, orchestrait ces attaques pour des raisons stratégiques.  En effet, le directeur de l’Agence National d’Intelligence, Manala Manzini, avait déclaré que les élections à venir jouaient un rôle important dans la remontée des violences.Les politiciens, souhaitant rassembler le plus de votes, encourageaient les actes xénophobes pour entraîner le support des communautés locales qui accusaient les immigrants de voler leurs emplois.  On cite parmi tant d’autres, le Parti Libéral Inkatha (IFP), dont les membres ont directement participé aux attaques. On comprend que le sentiment xénophobe, loin d’être réprimandé au sein de la culture sud-africaine, est plutôt normalisé par la population.

Les notions de “main invisible” et de “troisième force”, ont souvent été évoqués dans le discours sud-africain pour signifier que des personnalités méconnues et au pouvoir cherchent à renforcer la rupture entre les groupes ethniques, d’où cette remontée de crimes ‘noirs contre noirs’ ces dernières années. Ces notions, qui ne sont pourtant que des spéculations, regagnent de la popularité en 2015,  lorsque la deuxième vague d’attaques xénophobes surgit et compte six morts en trois semaines. Aujourd’hui, les mouvements de libération sociale redéfinissent le terme de “troisième force”, prétendant qu’il s’agit davantage “d’un rassemblement de pauvres bien organisé” que d’un groupuscule xénophobe au pouvoir. Toutefois, les critiques  de cette nouvelle théorie insistent toujours sur le rôle des personnalités au pouvoir au sein des attaques xénophobes, citant des exemples comme l’affaire du Capitaine Mpande Khoza en 2008 pour remettre question cette redéfinition. En effet durant les émeutes de 2008, un habitant de Soweto avait admis être payé par une source anonyme pour tuer des étrangers. Suite à l’interrogation avec l’agresseur, le Capitaine Mpande Khoza avait révélé que ce dernier ne donnait pas les  informations clés concernant la nature des attaques, à savoir qui l’avait payé et combien il avait reçu. On conclut alors qu’il est difficile de nier que la main invisible appartient aux élites de la société, mais ce que la redéfinition de la troisième force nous apprend, c’est que les conditions socio-économiques seraient au coeur du problème xénophobe sud-africain.

En ce qui concerne l’économie de l’Afrique du Sud, on note depuis 2010 une croissance économique plus lente que les années précédentes. En 2019, le taux de chômage avoisine les 29%.  La distribution des richesses au sein de la société est également fort inégalitaire au niveau des revenus. En effet, un Sud-Africain sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté (fixé à US$1.90/jour), et plus d’un quart de la population ne mange pas à sa faim. Cette situation économique critique est propice aux discours populistes et alimente les rassemblements hostiles contre les étrangers, rendus bouc-émissaires de la misère sud-africaine. Quoi qu’il en soit, que les motivations soient politiques, sociales, historiques ou économiques, les émeutes xénophobes en Afrique du Sud peinent à être neutralisées par les autorités. Grâce à  la médiatisation importante de cette troisième vague d’émeutes, les attaques provoquent l’indignation dans les quatre coins du globe et c’est désormais sur la communauté internationale que les immigrés s’appuient pour exhorter le gouvernement à répondre dans l’immédiat. 

Tandis que le ministre éthiopien des affaires étrangères condamne les attaques, le Président de la Commission de l’Union Africaine, Moussa Faki Mahamat, demande à ce que les biens des ressortissants étrangers soient protégés et que les coupables soient poursuivis. Enfin, le Président Nigérien, Muhammadu Buhari, renonce au Forum Économique Mondial sur l’Afrique, qui a lieu du 4 au 6 septembre 2019 au Cap, pour témoigner sa solidarité envers les victimes nigériennes des actes xénophobes commis en Afrique du Sud.

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Tweet de Moussa Faki Mahamat condamnant les attaques xénophobes

Au delà des chefs d’états, certaines personnalités publiques telles que des footballeurs et des chanteurs africains réprimandent les actes xénophobes. La chanteuse populaire Nigériane, Tiwa Savage, a ainsi déclaré qu’elle ne participera plus à un festival de musique ayant lieu à Johannesburg. De son côté, l’artiste nigérien, Burna Boy a affirmé  qu’il ne retournera pas en Afrique du Sud avant que “le gouvernement se réveille”. Des footballeurs zambiens et malgalches renoncent également à des match amicaux avec l’équipe de l’Afrique du Sud, afin de supporter les victimes.

Quoique de manière tardive, le gouvernement sud-africain a réagi. Le 3 octobre dernier,  Cyril Ramaphosa a rencontré le Président du Nigéria, Buhari, à Johannesburg afin de réaffirmer les bonnes relations entre les deux Etats, tendues depuis le début des émeutes. Ramaphosa a expliqué que tout  en tentant de remédier aux conditions socio-économiques qui alimentent une attitudes xénophobe, le gouvernement continuera de condamner toutes formes d’actes criminels à travers le Plan d’Action Nationale. À son tour, le Président Buhari a répondu qu’il était d’une importance capitale d’encourager la confiance et la coopération entre les deux pays, ainsi que de trouver des solutions propices pour contrer ces actes de violence sur le long terme. 

https://twitter.com/CyrilRamaphosa
Tweet de Cyril Ramaphosa condamnant les violences xénophobes

Les grandes lignes du Plan d’Action Nationale pour combattre le Racisme, la Discrimination Raciale, la Xénophobie et toutes formes d’Intolérance prévoient le lancement de campagnes nationales de sensibilisation contre la xénophobie, une meilleure collaboration entre les gouvernements des provinces et une collecte de données pour surveiller l’évolution du taux de xénophobie. Après sept mois d’adoption, le Plan d’Action Nationale n’a toujours pas engendré les conditions sociales pour un meilleur vivre-ensemble. Compte tenu de l’ampleur critique des attaques raciales du mois dernier, il serait temps de réviser les clauses et d’introduire des changements non seulement sociales, mais également économiques et politiques afin d’adresser l’origine des sentiments xénophobes.

Depuis le début de cette troisième vague, le  nombre de forces de polices et de sécurité déployées dans les banlieues de Johannesburg et Soweto a largement augmenté. Néanmoins, malgré les promesses de Ramaphosa pour un changement imminent, les ressortissants étrangers ne sont pas tout à fait convaincus et demeurent inquiets. On cite notamment l’arrestation de sept policiers au mois d’août  dans la province de Gauteng pour avoir tenté de revendre les marchandises saisies aux commerçants étrangers. Alors que ces immigrés étaient arrêtés pour une simple vérification de leurs papiers d’immigration, l’autorité sur place a exprimé des propos injurieux et racistes, incitant les étrangers à retourner chez eux, car “ils ne sont pas les bienvenus” en Afrique du Sud.  Le gouverneur de Gauteng, David Makhura, a fermé l’oeil sur le comportement discriminatoire des forces de police  lorsqu’il a rejeté les accusations. Toutefois, afin que la population puisse se sentir en sécurité et dans le but de dissuader les agresseurs de commettre des actes  “totalement inacceptables” selon les paroles du Président Ramaphosa, il est impératif que de nouvelles solutions se développent et comprennent une réformation de la force policière. 

Un long chemin reste encore à être parcouru avant que l’Afrique du Sud concrétise un espoir de mettre fin à toutes formes de violences xénophobes et racistes. L’espoir semble demeurer dans l’engagement de la communauté internationale, qui continue de faire pression sur le gouvernement afin que la justice soit rétablie et que la sécurité, pour tous et chacun, devienne une priorité. 

Edited by Anja Helliot