Cuba 2019: La page du castrisme enfin tournée?

Le 24 février prochain, Cuba connaîtra un renouveau historique avec l’établissement d’une nouvelle constitution. 60 après la révolution et le début du régime autoritaire de Fidel Castro, le peuple cubain semble enfin se retrouver maître de son destin. Plus de 11 millions d’habitants ont été appelés à se prononcer sur la formation de cette nouvelle structure d’État, qui démarque la fraîche présidence de Miguel Díaz-Carnel du règne des frères Castro.

Avec l’élection du nouveau gouvernement, l’île cherche à se détacher du castrisme qui encadre et structure la société cubaine. Alors que Fidel Castro est mort depuis deux ans et que son successeur et frère Raoul a quitté son poste de chef d’Etat il y a un peu plus de six mois à 87 ans, l’ancrage de leur idéologie au sein du peuple cubain, demeure. Alors que Díaz-Carnel tente de rentrer dans le moule présidentiel modulé par ses prédécesseurs, Cuba traverse une nouvelle crise alimentaire, en particulier dans la capitale, La Havane. Cela n’est pas sans rappeler les années noires qui avaient suivi le dernier grand changement de constitution en 1959, ou encore la crise économique qui avait succédé au départ des forces soviétiques en 1990. Entraîné dans une mascarade politique, le président tente d’afficher une réelle volonté de changement en proposant l’institution d’une nouvelle constitution, en encourageant la participation populaire afin d’esquisser le portrait d’un pays plus démocratique. Du 13 août au 15 novembre, les propositions ont donc été rendues publiques et le peuple dans son ensemble a été invité au débat.

Les rapports du gouvernement révèlent qu’il y a eu plus de 7,4 millions de participants et 110 000 débats organisés par quartier et sur les lieux de travail. Pour la première fois à Cuba, la constitution sera établie pour et par le peuple, renforçant de la même façon l’unité de la nation. En effet, la population dans son ensemble a pu donner son avis sur les différents amendements proposés, tout en ayant la possibilité de les modifier ou les révoquer. Tous les articles de la nouvelle constitution sont alors soumis au jugement du peuple, avant de passer à nouveau sous le filtre du gouvernement. Ainsi, la communauté internationale dénote une réelle volonté du pays insulaire d’afficher une ambition démocratique et inclusive de la population. Le projet de constitution  remet ainsi en cause des caractéristiques majeures du régime. Le gouvernement Díaz-Carnel introduit une reconnaissance de la propriété privée, mesure importante étant donnée l’idéologie communiste exacerbée qui caractérise Cuba. Le développement des investissements de particuliers, enclenché à petits pas depuis 2008 par Raul Castro, vise une ouverture vers l’extérieur, reconstruisant les conséquences d’une économie âprement fragilisée par l’embargo américain de 1962. Toutefois, il est légitime de se demander si cette bonne volonté suffira à redonner au pays une place de valeur au sein du marché international. Ce cheminement d’autant plus corsé par le chauvinisme redondant du président Trump ne cesse de durcir les restrictions des échanges et des voyages entre les deux pays. De plus, cette constante exclusion conduit au développement d’un mépris du capitalisme, les Cubains dénigrant sans cesse les « cuentapropistas » (ceux qui travaillent à leur propre compte) à la recherche d’un profit exclusivement privé. Officiellement, c’est un oui à la propriété et au marché privé, mais dans l’idéologie socialiste qui habite le peuple cubain depuis des décennies, la cohabitation paisible de ces deux systèmes économiques reste impensable.

En outre, le président entend rétablir un pouvoir étatique plus équitablement réparti. Le plan de la structure constitutionnelle prévoit la création d’un poste de premier ministre, et compte rétablir le mandat présidentiel à 5 ans, réitérable une seule fois. Du côté réformateur social, le peuple a su faire entendre quelques volontés. Le texte constitutionnel n’inclut désormais plus le but de mener le peuple vers une « société communiste », ne conservant que la mention de la tutelle idéologique socialiste. Autre élément choc : le mariage se retrouve désormais défini comme une union « entre deux personnes » et non plus « un homme et une femme », laissant ainsi une porte ouverte à l’éventuelle autorisation du mariage homosexuel. Cela marque non seulement une rupture avec la précédente exclusion sociale des homosexuels envoyés dans des camps de « rééducation  » sous Fidel, mais aussi avec l’éminence de la culture catholique nationale. Malgré cela, le changement apporté par ces quelques mots barrés et réécrits reste limité. En effet, le multipartisme reste absent, et la tutelle du parti communiste, parti unique au pouvoir, demeure solide. L’accès à la présidence se tient toujours au suffrage indirect. Le président est élu par les députés, dont le nombre de candidats chaque année, ne dépasse mystérieusement jamais le nombre de sièges disponibles. L’ouverture possible vers les droits des homosexuels, victimes malheureuses des persécutions de Fidel Castro, s’inscrit dans la volonté d’afficher un progressisme naissant, cependant, elle demeure extrêmement controversée et incomplète. L’Eglise cubaine pointe du doigt cette réforme, critiquant un amendement inutile. Par ailleurs, le directeur du média en ligne El Estornudo, Abraham Jiménez, qui se positionne pourtant en faveur du mariage gay, nuance également cette modification exclusivement textuelle, qui selon lui n’est qu’un moyen de diversion pour le gouvernement, qui profite de cette tolérance affichée pour conserver et consolider son autorité dans d’autres articles constitutionnels. Ainsi, l’Etat conserve une politique qui prône un égalitarisme extrême et limite l’enrichissement individuel. Officiellement pour lutter contre la fraude fiscale et le marché noir, il fait discrètement passer le nombre de métiers autorisés localement de 201 à 123. De plus, tout négoce entre entrepreneur cubain et entreprise internationale est formellement interdit, imposant un monopole d’Etat sur le commerce extérieur.

D’autres doutes persistent quant à l’efficacité de cette constitution établie par le peuple. L’avocat constitutionnaliste Julio Antonio Fernandez dénote que seuls 600 000 citoyens ont réellement formulé une proposition directe, et à peine 27 000 ont proposé de vrais changements. Le peuple cubain reste sceptique face à sa soudaine inclusion en tant que citoyens démocratiques. Face à ce libéralisme économique en faveur des investissements étrangers naît la crainte d’être davantage délaissé. La pénurie dans les magasins perdure, et l’espoir, quant à lui, décroit. Malgré cet exercice historique de démocratie directe, les Cubains restent sceptiques. Pour beaucoup, les décisions étaient largement prises avant la consultation du peuple, et puisque la constitution est ensuite revue par le parti communiste avant d’être présentée au Parlement puis soumise à la validation des habitants à travers un référendum, aucun risque n’existe pour le nouveau gouvernement de faire valider des amendements contraires à sa politique.

Les slogans clament : « Hacemos Cuba » (« Nous faisons Cuba ») ! Pourtant, l’hégémonie du parti unique n’est que très peu remise en cause, et le pays que l’on connaît pour son rhum, ses plages, et ses cigares devra encore attendre pour être reconnu pour sa démocratie. Les mesures d’ouverture économique proposées dans le projet de constitution rappellent également l’ouverture récente de la Chine, qui s’engage dans un libéralisme commercial tout en limitant la liberté de ses citoyens. D’ailleurs, la liberté de la presse est quasi-inexistante sur les deux territoires, rendant difficile pour le peuple de contester ou de simplement nuancer cette inclusion populaire qui paraît si belle sur papier. Enfin, le pays reste en crise, et certains se demandent si cette nouvelle politique ne préfère pas l’appât du gain des investissement étrangers au détriment de la population. Comme l’humoriste cubain Panfilo, on soupire : « Vraiment, ça donne envie d’être étranger ».

 

Edited by Laura Millo