Démobilisation de la Diada: baisse du sentiment indépendantiste ou hoquet des partis politiques?

Alors que la crise indépendantiste catalane semblait atteindre son summum en Espagne ces dernières années, la Diada, manifestation annuelle des indépendantistes catalans, a connu une forte démobilisation le 11 septembre 2019.  

L’événement suivait une période de fortes tensions entre la Catalogne et le gouvernement central de Madrid. Après l’organisation d’un référendum illégal, la proclamation unilatérale d’indépendance par le Parlement catalan le 27 octobre 2017 et la conséquente suspension de l’autonomie de la région par Madrid, les espagnols attendent désormais le verdict du procès des dirigeants indépendantistes responsables du référendum. Alors qu’en 2018 plus d’un million de personnes avaient participé à l’événement, ils ne sont, d’après la police municipale, que 600 000 à être descendus dans les rues de Barcelone cette année. C’est la plus faible participation à la Diada depuis sa première mobilisation indépendantiste, organisée en 2012 par l’Assemblée Nationale Catalane (ANC), une organisation qui a pour but l’indépendance de la Catalogne. La veille de la manifestation, le président régional Quim Torra avait encouragé les gens à “envahir les rues” et à “proclamer notre engagement total et non-négociable à la démocratie, aux droits sociaux, civils et politiques et au drapeau de la liberté, toujours et partout”. A l’origine, cette fête commémore la chute de Barcelone en 1714 face aux troupes de Philippe V.

Diada 2019. “11 S 2019” par Carles Fortuny. Licencé sous CC BY-NC 2.0

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette démobilisation. Parmi eux, l’épuisement des citoyens après des années de conflit avec l’État sans aboutissement, des tensions grandissantes entre les différentes factions indépendantistes, des désaccords internes dans le gouvernement catalan, et l’absence d’une réponse au verdict du procès des leaders indépendantistes, attendu dans les mois prochains.  

Le discours d’Elisenda Paluzie, présidente de l’ANC, à l’occasion de la Diada prouve les tensions. Elle a en effet admis que la Diada 2019 était la plus “difficile” à organiser en raison de “découragements, désillusions et divisions politiques”.  

Elisenda Paluzie a notamment accusé le Govern (gouvernement catalan) et les dirigeants politiques indépendantistes d’avoir “désarmé le mouvement indépendantiste de l’unilatéralité”. D’autre part, la Generalitat (organisation politique de la communauté autonome de Catalogne) accuse l’ANC d’avoir agi librement, sans prendre en considération le Govern et les partis tels que le Partit Demòcrata Europeu Català (Parti Démocrate Européen Catalan) et Esquerra Republicana de Catalunya (la Gauche Républicaine Catalane, ERC). Esquerra Republicana a, pour sa part, opté pour l’organisation d’un acte antérieur à la manifestation indépendantiste. Les différents représentants politiques ont également choisi, contrairement aux années précédentes, de ne pas se mélanger lors de la manifestation.  

Elisenda Paluzie a reproché aux partis d’avoir “discuté publiquement de la distribution de morceaux” au lieu d’œuvrer pour l’indépendance. En effet, il existe une concurrence électorale grandissante entre plusieurs partis catalans tels que ERC et Junts per Catalunya, dans le but d’obtenir le monopole sur le mouvement indépendantiste. De plus, les différents partis défendent des stratégies très variées. ERC défend désormais un pragmatisme et une favorabilité à la négociation avec le pouvoir central de Madrid. Cette stratégie se heurte aux positions unilatérales d’autodétermination et conflictuelles maintenues par les partisans de Carles Puigdemont (ancien président régional en auto-exil pour échapper au procès) , membres de Junts per Catalunya.  

Elisenda Paluzie à la Diada 2019.
“11 S 2019” par Joan Morejón. Licencé sous CC BY-NC 2.0

L’attente du verdict du procès d’une douzaine de dirigeants séparatistes dont Oriol Junqueras, ancien président du parlement catalan et leader du parti ERC, pour leur rôle dans l’organisation et la déclaration de l’indépendance complique également la situation. Plusieurs d’entre eux sont accusés de rébellion, condamnable à 25 ans de prison, ainsi que de d’autres charges telle que le détournement de fonds publics. Les difficultés à élaborer une réponse unie au verdict potentiellement défavorable de la Cour Suprême, reflètent encore une fois la division politique que connaît le mouvement séparatiste catalan. 

D’autant plus qu’il est important de rappeler que les partis pro-indépendance n’ont jamais réussi à obtenir plus de 50% du vote dans les élections régionales. Un sondage du gouvernement catalan datant de juillet 2019, recense 48,3% des catalans contre la création d’un état indépendant contre 44% pour.  

La démobilisation de la Diada prouve que la population catalane n’est pas indifférente aux divisions internes du mouvement séparatiste mais le sentiment indépendantiste reste toutefois très fort. Ainsi, la Garde Civile espagnole a arrêté lundi 23 septembre 2019 neuf membres des Comités de Défense de la République (CDR), un  groupe de militants indépendantistes radicaux. Selon le procureur de la Cour Nationale, le groupe avait des plans “avancés” d’attentat, qu’ils comptaient commettre dans les premières semaines d’octobre, date correspondant à l’anniversaire du référendum et au verdict du procès des dirigeants catalans. 

Malgré des divisions internes chez les indépendantistes et leurs difficultés à concrétiser leurs objectifs, ils conservent un fort pouvoir de déstabilisation en Espagne. Pour la première fois, la gauche indépendantiste antisystème du Candidatura de Unidad Popular a annoncé qu’elle se présenterait aux élections générales, le 10 novembre prochain. L’apparition de ce nouvel acteur se traduit non seulement par une nouvelle compétition dans l’espace indépendantiste mais également par un changement dans l’espace politique national.

Edited by Elias Lemercier