Élections présidentielles 2022 en France : quel avenir pour une gauche désunie ?

À l’approche des élections présidentielles françaises d’avril 2022, nombreux sont les candidats, déclarés ou non, qui entament la course aux suffrages. Entre autres, Anne Hidalgo, déclarée le 12 septembre dernier pour le Parti socialiste, ou encore Jean-Luc Mélenchon, annoncé candidat dès le 8 novembre 2020 pour représenter la France Insoumise. D’autres, comme Eric Zemmour ou l’actuel président Emmanuel Macron, prennent la tête des sondages tout en repoussant la déclaration officielle de leur candidature. Dans ces prémisses de campagnes présidentielles acharnées, la gauche française semble plus que jamais scindée, et ses électeurs perdent espoir de la voir accéder de nouveau à la présidence de la République.

Selon le politologue Gérard Grunberg, la gauche n’existerait plus en France. Pourtant, plusieurs candidats s’y identifient encore aujourd’hui et pourraient prétendre à un nombre de votes non négligeable aux présidentielles. De nombreux Français restent d’ailleurs attachés à l’idée de la « gauche française » puisque 24 % de l’électorat se situerait à gauche. Mais, les écarts idéologiques continuent d’avoir raison de l’unité politique de la gauche et ses candidats, plutôt que de se rassembler derrière une figure et une voix, luttent les uns contre les autres et s’affaiblissent de concert. 

La gauche française fragmentée : un contraste vis-à-vis de son passé rayonnant

En vue des prochaines élections présidentielles, l’état de la gauche française se pose, d’autant qu’elle contraste radicalement avec l’âge d’or de son idéologie politique. En 1936, alors que le pays traverse une crise économique, le Front populaire, une coalition de gauche composée du Parti communiste français, de la Section française de l’Internationale ouvrière, du Parti républicain radical et radical-socialiste ainsi que d’autres partis, remporte les législatives. Léon Blum, président du Conseil, rassemble alors un gouvernement de socialistes et radicaux autour d’un seul et même individu. L’unité de la gauche française est alors à son apogée.

         Gouvernement de Léon Blum en juin 1936. Photo sous licence CCO.

Depuis cet âge d’or de la gauche, incarné par des figures politiques et intellectuelles telles que Blum, Sartre et De Beauvoir, la France a assisté à un déclin de l’idéologie socialiste et progressiste.  Aujourd’hui, elle est au plus bas dans les sondages. Cette gauche historique, issue de la lutte ouvrière, des premiers syndicats, et des manifestations universitaires, ne semble plus aussi conforme aux mutations endurées par le monde du travail au  XXIe siècle. Aujourd’hui l’économie française est davantage fondée sur les secteurs financiers et technologique que sur l’industrie, laissant la gauche dénuée de son électorat traditionnel. Par ailleurs, le contact et la proximité avec le « petit » peuple, autrefois considéré comme une idée de gauche au sein de la SFIO de Jean Jaurès au début du XXe siècle, est aujourd’hui devenu une des stratégies centrales du Rassemblement National de Marine Le Pen. Ce transfert de stratégie d’un bord à l’autre du spectre politique français a converti de nombreux électeurs. Ainsi, la gauche d’aujourd’hui, d’un point de vue purement idéologique semble s’être éloignée de ses valeurs d’antan, véhiculées entre autres par des personnalités comme François Mitterrand qui, en 1981, accède à la présidence de la République en tant que représentant du Parti socialiste. 

Presque 40 ans plus tard, son successeur, François Hollande, termine son mandat en 2017 mais les conséquences de sa gouvernance s’avèrent assez lourdes au sein de l’électorat de gauche. Certains électeurs s’estiment « trahis » par un président s’affirmant socialiste et progressiste, sans pour autant respecter son programme sous plusieurs aspects. François Hollande contribue alors activement à l’éclatement interne de la gauche française. L’ex-président a notamment perdu des électeurs avec la hausse de l’impôt sur le revenu : les classes  moyennes, frappées par cet ajustement, expriment alors ouvertement leur désaccord. Confronté à de très faibles intentions de vote et à un risque d’échec à une primaire à gauche, il renonce à se porter candidat à un second mandat, ce qui constitue une première sous la Cinquième République. Malgré cela, Hollande ne favorise pas non plus la transition vers un nouveau gouvernement socialiste, en soutenant ouvertement Emmanuel Macron, candidat de son parti centriste «En Marche!», et en entretenant des mauvaises relations avec Benoit Hamon, son successeur en tant que candidat du Parti socialiste. L’ex-président va même plus loin en accusant Jean-Luc Mélenchon, figure de l’extrême gauche en France, de régulièrement tomber dans le simplisme dans ses promesses politiques. Ainsi, Francois Hollande, le dernier président de gauche en France, est loin d’avoir adopté un rôle d’unificateur incarné jadis par Léon Blum et son Front populaire. 

L’incapacité de la gauche à se renouveler dans des contextes changeants

Face à l’accélération de la néo-libéralisation de nos sociétés, et aux montées toujours plus puissantes de l’extrême droite en France, la gauche française, déstabilisée, perd pied face à des adversaires de taille. Les mouvements socialistes français ont toujours rassemblé les travailleurs autour d’un même sentiment d’exploitation dans les rapports de hiérarchie. Le rassemblement politique autour de valeurs socialistes créait alors une passerelle vers la valorisation du statut des travailleurs et l’augmentation de leurs droits. Du début du XXème siècle jusqu’à nos jours, en partie grâce à la lutte ouvrière et aux avancées promues par la gauche, les conditions de travail en France se sont largement améliorées. 

La mondialisation de l’économie a laissé place à une nouvelle répartition des secteurs d’activités, qui s’est traduite par une fuite de l’industrie vers le secteur tertiaire. La France est désormais principalement une économie de service, qui représente 76,1 % dans ses activités. En 1962, tandis que 39 % de la main-d’œuvre française appartenait au secteur ouvrier, elle n’en représente aujourd’hui que 20 %. Cette désindustrialisation a mené à une réduction de l’effectif de la gauche ouvrière, modifiant largement le débat politique en France. Ainsi, la gauche est de moins en moins considérée par les Français car elle ne semble pas s’être adaptée à ce nouveau contexte économique. Plutôt que de se renouveler et se donner de nouvelles opportunités, la gauche française s’est raccrochée, presque pathétiquement, à ses figures de proues comme Jaurès, Blum et Mitterrand pour se donner de la légitimité. C’est pour ces raisons que de nombreux électeurs se sont tournés vers la droite: plus apte, en tout cas à apparence, à gouverner dans des contextes économiques difficiles comme la crise financière de 2008.

Par ailleurs, là où la gauche n’est pas parvenu à se renouveler, elle a créé une brèche à l’extrême droite. Depuis les années 80, l’extrême droite et son discours censé « protéger la culture française et ses classes populaires » a gagné en popularité auprès de l’électorat français. Dotée d’un nouveau discours de défense identitaire, la stratégie populiste de l’extrême droite a consisté à trouver un bouc-émissaire à tous les nouveaux maux des Français: les immigrés et les étrangers. 

Un morcellement autodestructif

À l’issue des présidentielles de 2017, Emmanuel Macron est élu président de la République. S’il se présente à la fois comme « un homme de gauche » et un « libéral », on lui reproche dès le début de son mandat de mener une politique à droite, sans contrepoids à gauche. Dans les faits, les deux premiers ministres qu’il a lui-même choisi pendant son mandat, Édouard Philippe et Jean Castex, sont tous deux des hommes politiques issus de la droite. En 2018, deux de ses premières mesures consiste à supprimer l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), et à baisser le taux d’imposition des bénéfices des entreprises – deux manoeuvres libérales notables qui auront notamment contribué à accroître la fortune des plus riches selon Le MondeDès lors, il a vite semblé que Macron avait utilisé une part de l’électorat traditionnel de gauche pour accéder au pouvoir et se permettre de passer des stratégies libérales, accélérant de fait les divisions de ce camp politique. 

Malgré toutes les déstabilisations externes auxquelles fait face la gauche française, une des plus importantes reste son propre manque de cohésion. En avril 2022, le scénario d’une élimination au premier tour de tous les candidats de gauche est proéminent dans tous les sondages. Alors que Jean-Luc Mélenchon se présente pour la troisième fois pour la France Insoumise, Yannick Jadot est candidat du pôle écologiste, et la maire de Paris – Anne Hidalgo – est candidate au Parti socialiste. Arnaud Montebourg se présente également sans le soutien d’un parti, tandis que, au sein du Parti communiste français, Fabien Roussel s’est déclaré candidat à la présidence; au même titre que Philippe Poutou pour le nouveau Parti anticapitaliste et Nathalie Arthaud pour la Lutte ouvrière. Ces principaux candidats de la gauche réunissent ensemble moins de 30 % des intentions de vote dans les derniers sondages. Dans ce contexte, la gauche ne peut pas prétendre à la Présidence de la République en 2022. À ce titre, la majorité des électeurs, pourtant d’affiliation socialiste progressiste, optent pour un vote « tactique », qui consiste à voter pour un candidat dans l’optique de faire barrage à un autre.  Ainsi, selon Marcel Gauchet, philosophe et historien français, « les électeurs deviennent de plus en plus stratèges. »

Jean-luc MELENCHON | © philippe grangeaud | Parti socialiste | Flickr     Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France Insoumise. Photo de Philippe Grangeaud sous licence  CC BY 4.0.

Nous sommes à six mois des élections et certains candidats n’ont pas encore de programmes, tandis que d’autres ne sont pas encore officiellement candidats. Sans mutations profondes, il clair qu’un candidat de gauche ne parviendra jamais au second tour. Pareillement, au vue du désintérêt que porte les candidats de la gauche à leur manque de cohésion, le scénario d’une coalition à gauche semble très peu plausible, et ce, nonobstant le fait que 80 % de leurs sympathisants affirment que les différents mouvements auraient tout intérêt à s’unir afin d’avoir une chance d’accéder à l’Élysée. Ainsi, si les candidats venaient finalement à s’unir avant avril, ils auraient la possibilité de rebattre toutes les cartes de cette élection présidentielle qui, pour le moment, continue de prédir la réélection d’un Emmanuel Macron qui ne semble pas avoir perdu la totalité de son soutien à gauche. 

Édité par Lucille Tatti. 

En couverture: Photo de Nicolas Nova, sous licence CC BY-NC 2.0, représentant le palais de l’Élysée à Paris, siège de la présidence de la République française.