Evo Morales : de président bolivien héroïque à figure autoritaire

À l’encontre d’autres dirigeants latino-américains à tendance autoritaire, Evo Morales a gouverné son pays par le consentement plutôt que par la contrainte. Sa victoire présidentielle en 2005 est historique à bien des égards. Le succès de Morales a marqué une avancée majeure dans la lutte d’une nation et d’un continent pour affirmer davantage son indépendance et entreprendre des réformes économiques. Ancien dirigeant d’un syndicat de producteurs de coca, et premier Autochtone à être nommé à la tête de l’État bolivien, Morales a réalisé d’importantes avancées socio-économiques pour les communautés autochtones boliviennes, qui constituent la majorité de la population. Pourtant, malgré le statut de héros qui lui a été conféré, Morales se serait converti en un imposteur à la tête du pays, au fil des années.

Morales a débuté sa carrière en tant que président en fondant l’État plurinational de Bolivie en 2009, dans le cadre d’un long processus commencé en 2006. Cette avancée visait à valoriser les communautés autochtones au nom de la revanche sur la colonie espagnole et la République, dite néolibérale et oligarchique. Beaucoup de Boliviens considèrent Morales comme celui ayant mis fin à l’hégémonie politique de la classe dirigeante blanche. Au-delà des progrès sociaux, la Bolivie a su instaurer de nettes améliorations économiques. En effet, au cours des 13 dernières années, le pays a connu une croissance moyenne de 4 à 6% par an, soit le double de la moyenne de l’Amérique latine.

La Bolivie a réalisé d’importants progrès économiques et sociaux depuis l’arrivée d’Evo Morales au pouvoir. ©Maya Barkin

Afin de célébrer ses réussites, Morales a construit en 2017 un musée en son honneur dans sa ville natale de Orinoca, dont la collection présente des portraits de lui-même. Ceci survient peu de temps après le référendum du février 2016, au cours duquel une courte majorité de Boliviens a refusé d’autoriser le président Morales à briguer un quatrième mandat en vue de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2025. Malgré ces résultats et la constitution bolivienne qui stipule que les représentants élus ne peuvent remplir plus de deux mandats consécutifs, la cour constitutionnelle annonçait que les titulaires de mandats ont le droit de se représenter autant de fois qu’ils le souhaitent. Ainsi, le 4 décembre 2018, le tribunal électoral donnait à Morales la permission de briguer un quatrième mandat consécutif.

Allié de Cuba et du Venezuela et grand critique des États-Unis, Morales est aujourd’hui le plus ancien président en exercice d’Amérique latine. Celui-ci pourrait bien remporter des élections honnêtes lors des présidentielles prévues en octobre 2019. Son parti, le « Movimiento al Socialismo » (Mouvement vers le socialisme), reste populaire dans les zones rurales. Or, de nombreux Boliviens craignent qu’il ne reste en place quel que soit le résultat du vote. Les tentatives du président bolivien pour prolonger sa présidence sont devenues de plus en plus risquées. Le gouvernement a resserré son emprise sur la commission électorale, soi-disant indépendante. Il s’est aussi appuyé sur la presse, en retirant par exemple la publicité des journaux critiques.

Face au refus de Morales de renoncer au pouvoir et à sa promesse de briguer un quatrième mandat, sa résidence, un gratte-ciel de 29 étages dominant le centre historique de La Paz, la capitale de la Bolivie, est devenue un foyer de colère grandissante. L’inquiétude du public a provoqué l’indignation quand il a été annoncé que le président vivait dans un appartment de luxe équipé d’un jacuzzi, d’une salle de sport, et d’une salle de massage, alors qu’une grande partie de la population bolivienne vit encore dans la pauvreté. Pour Morales et ses partisans, cela représente une nouvelle Bolivie et une rupture avec un passé colonial douloureux. Pour d’autres, c’est un projet de vanité trop cher qui vise à glorifier le plus ancien dirigeant du pays.

La Paz, capitale de la Bolivie où se trouve la résidence du président Evo Morales ©Maya Barkin

Le mouvement populaire 21f, nommé après la date du référendum de février 2016, a organisé des grèves et des manifestations depuis le jugement de la Cour constitutionnelle. Ses membres sont pour la plupart issus de la classe moyenne, ont grandi sous la présidence de Morales et forment désormais le plus important groupe socio-économique. « Evo devrait quitter le pouvoir parce qu’il a perdu un référendum », déclare Eli Peredo, une psychologue qui a participé à une manifestation le 6 décembre à La Paz, siège du gouvernement bolivien. Les institutions qu’il menace maintenant « ont été mises en place en vertu d’une constitution qu’il a contribué à concrétiser », a-t-elle souligné.

Certains mouvements autochtones et sociaux qui ont soutenu jadis Morales doutent désormais de sa position au gouvernement. Selon Cristóbal Huanca, dirigeant autochtone Aymara originaire d’un village situé près d’Oruro, au sud de La Paz, le gouvernement n’a pas le droit de violer la constitution. Il ajoute que le gouvernement les « traite comme s’[ils] étaient des ennemis de droite [s’ils] ne [sont] pas d’accord avec lui ». Les adversaires de M. Morales s’indignent également de la corruption, un vieux problème qu’il n’a pas réussi à endiguer efficacement.

“Evo no te queremos” (Evo nous ne te voulais pas) dans une rue de la ville de Santa Cruz ©Maya Barkin

L’opposition, qui provient de tout l’éventail politique, n’a pas réussi jusqu’à présent à s’unir derrière lui. Les autres candidats qui prévoient contester Morales espèrent transformer la colère de la population en votes. À ce jour, le politicien qui a le plus de chances de renverser Morales est Carlos Mesa. En effet, les sondages suggèrent que Mesa, historien et journaliste qui a précédemment gouverné la Bolivie entre 2003 et 2005, semble être le seul espoir d’unir toute l’opposition contre Morales. Morales fait aussi face à l’opposition de la communauté internationale, alors qu’un nombre d’anciens présidents et chefs de gouvernement ont demandé dans une lettre à l’Union européenne et à l’Organisation des Etats américains  de faire preuve de « vigilance » face à la « rupture de l’ordre constitutionnel en Bolivie. » Mais pour l’instant, Evo Morales ne semble pas près de reculer et il restera à voir si le peuple bolivien arrive à s’unir derrière ce que certains appellent désormais une dictature.

Edited by Charles Lepage