Haïti à la Croisée des Chemins : Crise, Corruption et Quête de Stabilité

Dans le tourbillon de la politique haïtienne, l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 a ouvert un chapitre sombre, dévoilant la corruption et l’impunité qui minent les institutions démocratiques du pays. Cette crise, exacerbée par des décennies de violence et de pauvreté, a depuis mis en lumière l’urgence d’une intervention internationale. La nécessité d’une intervention internationale se fait sentir, et la mission de l’ONU en Haïti se profile comme un acteur clé pour rétablir la paix et la sécurité. Quels sont les enjeux de cette mission ? Peut-elle réussir là où tant d’autres ont échoué ? Quel est l’avenir pour Haïti, entre espoirs de changement et réalités amères ?

L’assassinat du Président

L’assassinat du président Jovenel Moïse a ébranlé Haïti jusqu’à ses fondations, révélant un réseau tentaculaire de corruption et de violence. Dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, un commando composé d’une vingtaine d’ex-militaires colombiens fait irruption dans sa résidence de Port-au-Prince, le criblant de balles dans ce qui constituait une tentative d’enlèvement qui aura viré au drame. Immédiatement, le pays est plongé dans le deuil, la confusion et la colère.

Dans les jours et les semaines qui suivent, l’enquête sur son assassinat progresse lentement, révélant des liens préoccupants avec des individus tant en Haïti qu’à l’étranger, notamment en Floride. Il aurait notamment été question de « … deux hommes à la tête de la société de sécurité CTU, à Miami, qui avaient prévu de séquestrer Jovenel Moïse pour le remplacer par un Américano-Haïtien, Christian Sanon, désirant devenir président du pays ». Le procès prend alors une dimension autant étrangère que locale, devenant rapidement un enjeu international et nécessitant l’établissement d’un second tribunal aux États-Unis. En Haïti, cinq juges d’instruction se retirent ou sont démis de leurs fonctions, rendant l’avancement de l’enquête encore plus laborieux. La corruption endémique dans les systèmes politique et judiciaire du pays devient de plus en plus évidente, et nombreux sont ceux, parmi les politiques et les hommes d’affaires, qui souhaitent étouffer l’affaire.

Au cours des dernières semaines, les faits ont finalement su être établis, et des condamnations sont tombées au tribunal fédéral américain. En date du 10 octobre 2023 (une troisième condamnation dans le dossier) l’ex-sénateur Joseph Joel John a officiellement plaidé coupable à l’élaboration de l’assassinat du président, en compagnie d’une poignée de fonctionnaires complices.

L’absence de réponses et de justice pour une si longue période a toutefois alimenté un sentiment d’impunité en Haïti, contribuant à l’escalade de la violence et du crime à travers le pays. Les gangs, déjà puissants, gagnent chaque jour en influence, transformant Haïti en un terreau fertile pour le trafic de drogues, les enlèvements et la violence. Ce contexte de chaos et d’instabilité met ainsi en lumière l’urgence d’une intervention et d’une aide internationale.

L’ex-président d’Haïti, Jovenel Moïse, en visite diplomatique en 2018. « Sebastián Piñera y Jovenel Moïse. » de Gobierno de Chile, sous licence CC BY 3.0.

La situation actuelle et ses escalades

Haïti se retrouve aujourd’hui dans une situation critique. Les forces de l’ordre, dépassées et sous-équipées, ne parviennent pas à contenir la montée en puissance des gangs et du crime organisé. Les dernières analyses montrent effectivement que le crime international s’exporte de mieux en mieux vers Haïti, le pays n’étant plus en état de gérer ses frontières, ce qui le rend vulnérable dans sa lutte pour regagner le contrôle sur les imports et la contrebande qui s’immiscent en son sein.

Le gouvernement haïtien se trouve effectivement dans l’incapacité de contrôler ses 1 771 kilomètres de côtes et sa frontière terrestre de 392 kilomètres avec la République Dominicaine. En 2022, le pays ne disposait que d’un seul bateau opérationnel pour contrôler ses eaux territoriales et seulement 200 hommes pour surveiller ses frontières, rendant les perquisitions et les condamnations extrêmement rares.

Considérant qu’Haïti dépend massivement de l’importation, avec 50% de sa consommation alimentaire provenant de produits importés, cette dépendance crée des conditions idéales pour la contrebande, permettant aux organisations criminelles de prospérer. Les gangs contrôlent désormais une grande partie des infrastructures du pays, rendant les postes de douane inopérants, établissant des barrages routiers, et incendiant les stations de police. Ils ont transformé Haïti en un hub international de drogues, acheminant cocaïne et marijuana principalement vers les États-Unis et l’Europe.

La mission internationale

Dans ce contexte de crise et d’insécurité croissante, l’intervention de l’ONU devient cruciale. Haïti, sans armée opérationnelle, repose sur sa police pour affronter les gangs et protéger sa population, mais cette dernière est gravement sous-financée, sous-équipée et manque cruellement de formation. Les gangs, mieux armés et plus nombreux, mènent une guerre ouverte contre les autorités, créant une situation intenable pour les citoyens haïtiens.

À ce titre, le président par intérim Ariel Henry demande depuis plusieurs mois une aide internationale, et c’est en date du 1er octobre que l’ONU a voté en faveur d’une mission de sécurité de 2000 policiers, menés par le Kenya, pour venir soutenir la police locale. Les objectifs spécifiques de la mission restent toujours en suspens, mais le rétablissement de la sécurité et le renforcement de la force policière du pays seront assurément les premiers items à l’agenda. Les analyses de l’UNODC ne laissant pas présager des affrontements directs avec les gangs, les forces menées par le Kenya se concentreront plutôt sur la récupération et sécurisation des infrastructures essentielles, dont, notamment, des routes, en empêchant la libre circulation des gangs et leur réapprovisionnement en munitions et armes. L’entente comprend également un embargo sur les armes, ce qui devraient aider à calmer le flot entrant d’armes dans le pays.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies. « The Security Council » de United Nations Photo, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

Il s’agit d’une opération complexe, nécessitant une collaboration étroite entre gouvernement haïtien, les organisations non gouvernementales et la communauté internationale. Cette force internationale jouera un rôle essentiel dans le rétablissement de la sécurité, mais ça présence est également cruciale pour assurer le bon déroulement des programmes d’aide humanitaire et de développement. La mission vise également à renforcer les capacités de la police nationale haïtienne, afin qu’elle puisse à terme prendre le relais et assurer la sécurité du pays de manière autonome. Cela implique un vaste programme de formation, de mentorat et de fourniture d’équipements. Parallèlement, l’ONU travaille à la promotion de la règle de droit et au renforcement des institutions judiciaires, pour lutter contre la corruption et l’impunité qui gangrènent le pays.

La mission de l’ONU en Haïti se veut être un catalyseur pour un changement positif et durable. Elle témoigne d’une mobilisation importante, bien que tardive, de la communauté internationale pour assurer une réponse rapide et efficace aux besoins du pays. Le but ultime, si l’on se fie aux lignes de presse de l’ONU, sera de laisser derrière elle un « Haïti stabilisé, doté d’institutions fortes et capables de prendre en main son destin ». Quand, toutefois, saura-t-on reconnaître l’échec collectif des institutions nationales et internationales à mettre en place des mécanismes efficaces pour lutter contre le pouvoir grandissant des gangs et la corruption endémique? Il paraît effectivement impératif de repenser les stratégies actuelles, en privilégiant une approche holistique qui s’attaque aux racines du problème, comme la pauvreté, le manque d’éducation et les inégalités, tout en renforçant l’état de droit et la responsabilité des élites.

De toute évidence, la réussite de cette mission est cruciale, non seulement pour Haïti, mais aussi pour l’ensemble de la région des Caraïbes, où la stabilité et la sécurité d’Haïti ont des répercussions directes. Il s’agit d’un défi de taille, mais la communauté internationale se doit d’être à la hauteur pour aider Haïti à sortir de cette spirale de violence et de pauvreté.

Édité par Loïc Robinson.

En couverture : Un soldat de l’ONU en Haïti, 2016. « The United Nations forces in Haiti » de U.S. Government, sous licence CC0 1.0 Universal.