Héritage mondial ou héritage local: la réalité masquée de la Cité Perdue de Colombie

La plupart des articles que l’on retrouve sur la Cité Perdue sont écrits comme des récits d’aventures. Ils décrivent la jungle, des ruines, et des tribus indigènes romancées. Parmi les recherches qui aboutissent principalement sur des agences de voyages, le peu de journaux qui engagent avec ce sujet, comme The Guardian, promeuvent le tourisme et le trek de la Cité Perdue. Ils masquent donc un problème emblématique des luttes indigènes contemporaines : le respect de leur indépendance et de leurs droits de propriété des terres et des héritages ancestraux. En effet, le trek vers la Cité Perdue, 44km à travers la jungle et les montagnes colombiennes, se situe dans le territoire des Kogi. La présence de nombreux touristes dans leurs villages et la publicité pour le monument de leurs ancêtres perturbent non seulement leurs modes de vie traditionnels, mais aliènent également les Kogi de leurs identités et héritages. Ainsi, le cas de la Cité Perdue de Colombie illustre une confrontation entre les intérêts de la communauté internationale et ceux des peuples locaux.

Nichée dans la jungle de la Sierra Nevada colombienne aux alentours de Santa Marta, la Cité Perdue se trouve au Nord Est de la Colombie. Pour y accéder, il faut se préparer à faire un trek de 44km, soit à peu près cinq jours de marche dans un terrain escarpé. Le site a été redécouvert seulement en 1972 par un groupe de pilleurs. Après que des morceaux de céramiques et des figurines en or ont été aperçus sur le marché noir, une troupe d’archéologues de l’Institut d’Anthropologie Colombienne a été envoyée pour localiser le site, qu’ils ont éventuellement atteint en 1976. De là, des fouilles archéologiques ont été menées, résultant en la reconstruction de la partie centrale du site en 1982.

La Cité Perdue, appelée Teyuna par les tribus locales, aurait été construite aux alentours de de la fin du VIème siècle après J-C par les Tayrona. Située à plus de 1 300 mètres d’altitude, Teyuna aurait servie comme un centre de commerce et d’autorité politique pour de nombreuses communautés vivant dans les tribus voisines. À son apogée (vers le XIIème siècle après J-C), la ville comprenait près de 10 000 habitants, un montant contemporain similaire à des villes européennes comme Londres. Avec l’arrivée des conquistadors espagnols au XVIème siècle, le site est abandonné et la nature prend progressivement le dessus. Néanmoins, les ruines ont toujours été surveillées au plus grand secret du monde extérieur par les tribus descendantes des Tayronas (Kogi, Arhuaco et Wiwas).

Une grande partie du site, dont ces terrasses remontant à plus de 1000 ans d’histoire, reste isolée dans la jungle de la Sierra Nevada.

Pour les tribus locales, Teyuna n’est pas juste une relique de leurs ancêtres. La Cité Perdue est non seulement une fierté, mais aussi une partie de leur identité. En effet, après la colonisation espagnole et des politiques extrêmement discriminatoires, les peuples indigènes ont été progressivement dépossédés de leurs territoires et de leurs modes de vie. Les ruines d’une civilisation ancestrale permettent donc aux tribus de la Sierra Nevada de réclamer une histoire et une identité jusque-là ignorées. Pour la tribu Kogi, le nom Teyuna est en fait le nom d’un de leur héros mythologique. Dans un environnement qui devient de plus en plus ouvert aux droits des peuples indigènes, les Kogis sont devenus les gardiens légaux du site et du parc qui entourent le trek. D’ailleurs, une des raisons pour l’arrêt des fouilles archéologiques en 1982 est liée à la décision des tribus locales d’interdire un institut gouvernemental de piétiner et ‘ouvrir’ la tombe de leurs ancêtres. Ainsi, Teyuna, la Cité Perdue de Colombie, devient un emblème pour les tribus locales, exerçant leur droit à l’autodétermination et réclamant une partie de leur histoire, de leur identité.

Dès la fin des fouilles archéologiques, le tourisme a considérablement accru. À partir de 1985, le trek est mis en place, avec des arrêts de repos et le recrutement de guides. La région était en revanche un coin idéal de cachette pour des groupes paramilitaires et, à cause du manque de sécurité, une prise d’otage a d’ailleurs eu lieu en 2003. Le 12 décembre, à 4:30 du matin, un groupe de sept touristes est accosté par une bande de paramilitaires. La prise d’otage dura 101 jours, où les soldats demandèrent une investigation internationale sur les droits de l’homme dans la région, afin de libérer les touristes. Dès lors, le nombre de touristes chute dramatiquement, et ce n’est qu’en 2010 que l’afflux remonte peu à peu. Aujourd’hui, le trek de la Cité Perdue est une destination prisée pour ceux qui recherchent un voyage plus ‘authentique’ que Machu Pichu, avec la promesse de « découvrir les coutumes des tribus locales ».

Accédant au site avec un hélicoptère qui se pose directement sur le site archéologique, l’armée colombienne surveille la région pour d’éventuels groupes paramilitaires.

La pratique de plus en plus intensive du trek de la Cité Perdue cause néanmoins de nombreux problèmes fondamentaux. Premièrement, le tourisme représente un danger physique pour le site archéologique. En effet, le piétinement de tant de personnes dans un site aussi ancien, peut mener à l’effondrement et la fragilisation de nombreuses structures en pierres. La gestion des déchets et l’installation d’infrastructures risquent aussi de polluer l’authenticité des ruines. De plus, la construction d’un camp, et son potentiel agrandissement, risque d’endommager des futures fouilles. Le pillage reste encore une menace importante, malgré la sécurité plus accrue du site. Dans un second temps, allant au-delà des problèmes purement physiques, un dilemme s’impose entre la présentation de la Cité Perdue comme un héritage mondial (et l’augmentation successive du tourisme) et le respect des tribus indigènes locales. Teyuna est au final la tombe des ancêtres des tribus indigènes, un lieu de mémoire et de commémoration. La présence de touristes rompt l’aspect sacré du site et enlève d’une certaine façon le pouvoir des Kogis et autres tribus descendantes des Tayronas. S’ajoute à ça le fait que le trek traverse des villages Kogi, et les touristes quotidiens interrompent leur mode de vie. Malgré l’interdiction de prendre des photos avec les habitants locaux et d’interrompre leurs activités, la traditionnelle photo avec les enfants s’impose et perpétue l’idée du ‘White Saviour Complex’ (la société privilégiée blanche qui aident les sociétés ‘non-développées’). Pourtant, les Kogis méprisent la présence de nombreuses personnes blanches sur leur territoire, qu’ils associent avec le gouvernement et l’empire colonial blanc qui leur ont causé tant de misère. C’est souvent donc un choix volontaire de la part des tribus indigènes de maintenir des modes de vies traditionnels, coupés du monde et des progrès de la ‘civilisation’ moderne.

Un touriste interagit avec des enfants Kogis, ce qui est normalement interdit afin de maintenir la vie privée des tribus indigènes.

La présence croissante de touriste sur le trek de la Cité Perdue, Teyuna, pose alors un problème fondamental. D’un côté, le site représente des bienfaits économiques pour la région, des désirs de découvertes archéologiques, et un discours considérant la Cité Perdue comme héritage mondial. De l’autre, il faut respecter le droit à l’autodétermination des tribus indigènes et respecter l’intimité de leurs modes de vies et la mémoire de leurs ancêtres, ce que le tourisme menace. En effet, la manière dont le trek s’articule semble détruire toute influence que les tribus indigènes ont envers la préservation de leur site et la commémoration de leur histoire. Une sensibilisation est alors nécessaire pour tous les étrangers qui entrent dans un site portant une symbolique importante pour les peuples locaux et une histoire qui reflète la bataille des tribus indigènes pour l’exercice de leur droit d’autodétermination. La Cité Perdue de Teyuna n’est malheureusement pas un cas appart.

Edited by Laura Millo