Hong-Kong: d’un mouvement pacifiste au chaos

En février dernier, la chef de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, proposait un amendement à la loi sur l’extradition afin de permettre le transfert vers la Chine continentale de quiconque considéré comme criminel par Pékin. Ce nouveau projet de loi fut très rapidement contesté, dans un premier temps de manière sporadique puis, avec le soutien de plusieurs ONGs, un véritable mouvement social, soutenu et régulier s’est créé. Depuis le début du mois de juin et de manière hebdomadaire, plusieurs centaines de milliers de citoyens envahissent les rues de la ville pour exprimer leur mécontentement. 

Si cet amendement est aussi contentieux, c’est en raison de ses implications. Depuis la rétrocession de Hong-Kong, ancienne colonie britannique, à la Chine en 1997, la région dispose d’un statut de « semi-indépendance » sous la gouverne de la devise « 1 pays, 2 systèmes » jusqu’en 2047. Hong-Kong appartient donc à la Chine, mais bénéficie d’un système beaucoup plus libéral, capitaliste et surtout d’un système judiciaire indépendant. Toutefois, sous ce nouvel amendement, les individus considérés comme criminels par Pékin (des opposants politiques, des journalistes…), résidents ou de passage à Hong-Kong, se verraient arrêtés puis jugés en Chine où le judiciaire est soumis au bon vouloir du Parti communiste. À travers cet amendement, les Hongkongais ont donc perçu une menace à leur état de droit et à leur statut particulier.

“Liberate Hong Kong, Revolution of our time”. Photo prise par Sam.

Bien que le gouvernement ait répondu à la demande initiale des manifestants, le mouvement s’est entre-temps intensifié et a pris une tournure plus violente. D’abord centré autour du projet d’amendement de la loi, le mouvement s’est graduellement amplifié jusqu’à décrier le recul progressif des libertés.  Quatre autres requêtes ont alors été formulées :

  • La mise en place d’une commission d’enquête indépendante sur les violences policières
  • Le retrait de la qualification d’émeutes en référence aux événements du 12 juin, jour des premières violences
  • L’abandon des charges criminelles à l’encontre des manifestants arrêtés
  • L’élection du chef de l’exécutif et du législatif au suffrage universel, comme promis au moment de la rétrocession

L’intégralité des demandes sont cruciales aux yeux des manifestants et c’est pourquoi l’annonce du retrait de l’amendement, le 4 septembre dernier, fut jugé insuffisant par les manifestants. La frustration des citoyens à l’égard d’un gouvernement qui ne semble pas répondre à leurs demandes n’a cessé de grandir et les mouvements pacifistes sont désormais perçus comme inutiles par toute une tranche de la population.

Manifestant devant une barricade en feu. Photo prise par Sam.

Entre une population qui ne voit aucun autre moyen de faire entendre sa voix et une police ni entraînée ni équipée pour ce genre de situation, la ville est maintenant le théâtre de violences devenues presque quotidiennes, sans précédent. Gaz lacrymogène, canons à eau, cocktail Molotov, tirs de balles en caoutchouc et même tirs à balles réelles rythment la vie de la ville chaque fin de semaine. 

Les jeunes hongkongais ont toujours eu une conscience politique très marquée et ce mouvement ne fait pas exception. Une jeune fille de 13 ans a été arrêté après avoir brûlé le drapeau chinois et un garçon de 14 ans s’est fait tirer dessus par les forces de l’ordre. De plus les tensions entre pro-Hong-Kong et pro-Pékin ne se manifestent pas seulement entre civils et policiers mais également entre civils qui tentent de faire justice eux-même : lorsqu’un chauffeur de taxi a foncé au milieu d’une manifestation, blessant grièvement 2 jeunes femmes, il s’est ensuite retrouvé tabassé par les manifestants. Ces scènes de violence restent toutefois localisées et ponctuelles : hormis quelques incidents isolés, en l’absence de manifestations, la vie suit son cours. 

Intervention policière lors d’une manifestation le dimanche 6 octobre. Photo prise par Sam.

Le 4 octobre, pour faire face à cet engrenage de violence qui ne laisse présager que très peu d’issues possibles, Carrie Lam a décidé unilatéralement d’interdir le port de masques lors des manifestations. Cette mesure d’urgence qui avait pour but de « dissuader les manifestants » a été perçue par bon nombres de citoyens comme une véritable provocation et n’a fait qu’attiser leur colère. Même si la chef de l’exécutif a déclaré ne pas vouloir instaurer l’État d’urgence pour autant, le passage de cette loi marque un tournant dans cette vague de contestation. Symboliquement, elle montre que l’exécutif détient les quasi pleins pouvoirs et pourrait maintenant mettre en place des couvre-feux, contrôler les médias, changer les règles d’arrestations… Entre pénurie dans les supermarchés, ATMs vidés et affrontements constants entre les forces de l’ordre et les manifestants, masqués pour la plupart, la ville a été plongée dans le chaos le plus total le 4 octobre et la fin de semaine qui a suivi. 

Ce même weekend, les Hongkongais ont également vu leurs libertés réduites par le MTR, la société de métro, qui, pour des « raisons de sécurité », a arrêté le service sur l’ensemble du circuit toute la fin de semaine, puis à partir de 20h pendant une semaine. Pour une ville aussi dynamique que Hong-Kong, une telle décision a un impact considérable sur la vie des habitants. Les commerces, les bibliothèques publiques et même les universités ont dû s’adapter à ce nouveau rythme de vie. Bien que le MTR soit une entreprise privée, plusieurs manifestants les soupçonnaient déjà d’être de mèche avec le gouvernement suite aux incidents de Prince Edward le 31 août, lorsque les forces de l’ordre avaient mené un arrestation massive et violente dans une rame de métro fermée. Pour beaucoup, les actions entreprises par le MTR ont donc été perçues comme un moyen d’établir un couvre-feu informel.  

Manifestant vandalisant la station de métro Prince Edward. Photo prise par Sam.

Les violences auxquelles les manifestants, des étudiants pour la plupart, ont recours lors des rassemblements ne sont pas soutenues par l’ensemble de la population. Certains sondages estiment que près de 70% des citoyens pensent que les manifestants devraient respecter le principe de non-violence. Néanmoins, ils avouent comprendre le recours à ces mesures extrêmes. Cependant, en dépit de la violence parfois surmédiatisée, le mouvement ne s’est pas construit autour de cette dernière. C’est un mouvement qui se veut avant tout humain, organisé et respectueux de l’ordre publique. Des chaînes humaines ont régulièrement lieu dans les quatre coins de la ville, des sols de centre-commerciaux ont été rempli d’origami, les “Lennon Walls” prolifèrent…

Confrontation entre une femme âgée et un policier. Photo prise par Sam.

Lorsque la Mosquée de Kowloon a été, le 20 octobre, aspergée par des canons à eaux et donc abîmée par le colorant bleu (utilisé pour marquer et reconnaître les manifestants), ces derniers se sont empressés, une fois le calme rétabli, de nettoyer la mosquée. Ces actes divers et variés permettent au mouvement de maintenir son ampleur, sa légitimité et son intensité: lors des manifestations pacifistes, même celles non-autorisées, on retrouve des individus de toutes catégories d’âges et de tous milieux socio-économiques. Pour soutenir les manifestations, une application mobile a même été développée où tous les commerces sont classés en fonction de leur positionnement sur les enjeux des manifestations. Les citoyens s’en servent donc pour savoir lesquels soutenir et lesquels boycotter.

Malgré l’organisation du mouvement, le niveau de violence et le taux de soutien de la population, les manifestants sont encore loin d’avoir gagné leur combat. Une sécession complète avec la Chine semble inimaginable. D’une part, Pékin a déclaré ceci: “Quiconque tente de diviser la Chine dans n’importe quelle partie du pays se retrouvera avec des corps écrasés et des os brisés.” D’autre part, l’implication de la Chine dans l’économie hongkongaise est colossale. Sans les investissements chinois, Hong-Kong ne pourrait tout simplement pas maintenir son rang de 3e haut-lieu financier mondial. De par ces capacités économiques, militaires et politiques, tenir tête à la Chine est un défi qui semble impossible aussi bien sur la scène internationale que nationale. Beaucoup d’obstacles restent donc à gravir avant qu’un véritable état de droit soit instauré à Hong-Kong. L’avenir et la réussite du mouvement reste donc tout sauf certain. 

Edité par Charles Lepage