Joe Biden à la présidence : quelle place pour les politiques environnementales?

À la fin d’un mandat fondé sur des politiques d’« America First », les mesures de protection environnementales sont mises à mal aux États-Unis. Selon le Climate Regulation Tracker de l’Université de Columbia, 165 décisions prises par le gouvernement Trump et par le Congrès depuis 2017 nuisent à la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, la situation environnementale actuelle souligne l’importance d’une action politique immédiate afin de lutter contre la crise du climat. En 2019, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) annonçait que certaines conséquences du réchauffement climatique étaient déjà irréversibles. Les quatre prochaines années seront ainsi décisives pour rectifier le cours des choses. Si 70 millions d’Américains semblent encore avoir des difficultés à accepter les résultats de l’élection présidentielle, les démocrates du pays et les dirigeants d’ailleurs célèbrent la victoire de Joe Biden, espérant qu’elle rattrapera les désastres de la présidence de Donald Trump.

 Les dégâts de l’administration Trump

Lors de sa campagne électorale de 2016, Donald Trump promettait de mettre fin à la « guerre contre le charbon », donnant déjà le ton de son mandat, au cours duquel il a fortement favorisé les énergies polluantes au détriment des énergies renouvelables. Ainsi, en 2018, Trump s’est débarrassé du Clean Power Plan de l’administration Obama, qui visait à réduire de 32% les émissions des centrales électriques, en particulier celles au charbon. Ce plan a été remplacé par l’Affordable Clean Energy Rule, qui accorde à chaque État une plus grande souplesse concernant les réglementations à respecter pour les centrales à charbon.

Donald Trump. Photo de Gage Skidmore, sous licence CC BY-SA 2.0.

Trump a également retiré les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat. Par cet accord, Obama avait engagé les États-Unis à une réduction substantielle des émissions de gaz à effets de serre (GES) d’ici 2025. Ce retrait a poussé la société civile américaine à affirmer son désaccord : 25 états et 430 villes ont alors proclamé « We are still in » (« nous faisons encore partie du traité »), et ont promis de respecter les objectifs de l’accord indépendamment de la décision du président.

De plus, le mandat de Trump a eu des conséquences drastiques sur l’apparente légitimité des scientifiques dans la lutte contre le réchauffement climatique. Son climatoscepticisme contagieux a convaincu de nombreux citoyens américains que le dérèglement climatique n’était pas dû à l’activité humaine.

Mine de charbon. Photo de Karl Gerber, sous licence CC BY-SA 2.0.

Joe Biden et sa plateforme écologique

Lors de sa campagne électorale, le futur président Joe Biden a promis la mise en place d’un plan climatique permettant de redresser le sombre bilan de Trump. Dans ce plan, le candidat démocrate affirme sa volonté d’atteindre zéro émission nette d’ici 2050, c’est-à-dire d’arriver à un équilibre entre les émissions de GES produites par l’homme et celles qui disparaissent de son fait. Il souhaite aussi que l’économie américaine soit basée à 100% sur des énergies propres et renouvelables d’ici 2050, grâce à un investissement massif dans la recherche et l’innovation climatique. Au total, 1 700 milliards de dollars seraient consacrés à la mise en place du plan, qui parviendrait à créer plus de 10 millions d’emplois verts. Joe Biden a également confirmé le retour immédiat des États-Unis dans l’accord de Paris. Comme les États-Unis sont le deuxième plus grand émetteur de dioxyde de carbone au monde, il est crucial que le pays suive une politique environnementale rigoureuse.

Pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C par rapport aux températures enregistrées avant la révolution industrielle, les experts en climat de l’ONU expliquent qu’il faudrait réduire de 50% les émissions mondiales de GES d’ici 2030. Le plan écologique de Biden est ainsi considéré comme un premier pas nécessaire afin d’éviter la catastrophe environnementale par les scientifiques et les militants. L’administration Biden-Harris pourrait permettre « l’un des plus grands efforts de relance écologique au monde » d’après Laurence Tubiana, l’une des architectes de l’accord de Paris. L’ampleur du virement écologique dépendra de la capacité de l’administration à faire adopter ses projets de loi. 

Cette capacité dépendra fortement de la composition finale du Sénat. Avec actuellement 48 sièges pour les démocrates et 50 pour les républicains, les deux sièges restants sont fortement disputés : ils feront pencher le Sénat soit vers une égalité, soit vers une majorité républicaine. Malheureusement, le suspense perdure, puisqu’il faudra attendre les résultats du deuxième tour électoral de la Géorgie, qui aura lieu le 5 janvier prochain, pour en connaître la couleur.

Le risque d’une « fracture verte »

Le Sénat n’est pas l’unique responsable de l’adoption des lois. La coopération au sein du camp démocrate à la Chambre des représentants sera également nécessaire. Pour cela, il sera essentiel de dépasser de potentielles divisions entre deux générations de démocrates : une nouvelle génération qui demande l’instauration de mesures plus fortes pour lutter contre le réchauffement climatique, et une ancienne génération qui est satisfaite des mesures entreprises jusqu’à présent. 

Porté par l’aile gauche du Congrès américain, le Green New Deal a pour objectif d’établir des mesures considérables pour combattre le dérèglement climatique. Introduite par la représentante de New York Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) et par le sénateur du Massachusetts Edward J. Markey, cette résolution marque désormais une importante division au sein des démocrates. D’un côté, on retrouve ce camp mené par AOC et Markey, appuyé par de nombreux politiciens tels Bernie Sanders, Kamala Harris et Elizabeth Warren. Ce camp souhaite que les États-Unis abandonnent le pétrole, le charbon et le gaz naturel obtenu par fracturation hydraulique au cours des 10 prochaines années. Ce regroupement appelle aussi à la lutte contre l’« injustice climatique ». Ceci renvoie à l’idée que la crise climatique a des conséquences sociales, économiques et politiques qui affectent disproportionnellement les groupes les plus vulnérables et défavorisés. 

Alexandria Ocasio-Cortez (au centre) et Edward J. Markey (à droite). Photo de Senate Democrats, sous licence CC BY 2.0.

D’un autre côté, on retrouve les démocrates plus centristes, qui ont des objectifs similaires mais plaident pour une transition à plus long terme, et s’accordent ainsi une trentaine d’années pour décarboniser les États-Unis. Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, s’est même moquée du Green New Deal. D’autres démocrates tels que Michael Bennet et Steve Bullock ont également déclaré préférer d’autres solutions aux problèmes environnementaux actuels. 

 Quelle direction prendre?

Le futur président a la tâche délicate de choisir un alignement qui lui permettra à la fois de respecter ses promesses électorales et de ne pas compromettre une prochaine victoire pour les démocrates lors des élections présidentielles de 2024. L’enjeu est d’autant plus considérable qu’il porte sur le rythme de la transition écologique et de la décarbonisation du pays, deux thèmes extrêmement sensibles aux divisions partisanes. 

D’un côté, Biden a maintes fois promis d’être le président de « l’unité nationale ». Cette promesse pourrait signaler que son administration compte favoriser une politique centriste et modérée, et promouvoir des mesures attrayantes pour la majorité. La mise en place de politiques plus « radicales » pourrait être dénoncée comme source de nouvelles divisions et lui ferait peut-être perdre l’appui de l’électorat modéré. Mais, d’un autre côté, si l’administration Biden-Harris adopte des positions trop centristes, qui ne la distinguent pas suffisamment des républicains, l’électorat démocrate risque d’être déçu et démobilisé en 2024. Dans un contexte où les républicains demeurent très populaires, l’approche de l’unité nationale pourrait s’avérer électoralement néfaste pour les démocrates. Plusieurs électeurs auraient voté pour Biden uniquement pour voter contre Trump : en 2024, cette motivation sera absente, à moins que Trump soit à nouveau le candidat républicain. Ainsi, en adoptant des positions centristes, le parti démocrate perdrait le soutien d’une gauche plus progressiste et plus jeune qui ne verrait pas ses convictions reflétées dans la politique du 46e président, et qui ne serait plus mobilisée dans le but de voter contre Trump. 

Il semble alors que le rapprochement le plus probable soit celui de Biden avec les démocrates plus progressistes. Il est particulièrement probable en matière de régulations environnementales, puisque Joe Biden et Kamala Harris ont déjà indiqué leur appui au Green New Deal. Ainsi, malgré leurs divisions internes, les démocrates, conscients de leur position vulnérable et de l’intérêt de maintenir l’appui des électeurs progressistes, feront probablement front commun pour des mesures écologiques rigoureuses. Reste à voir quelle sera la couleur du Sénat, puisque c’est cette chambre qui déterminera le champ d’action de la future administration. S’il est majoritairement républicain, nous risquons d’assister à une répétition du second mandat d’Obama, lorsque le Sénat républicain s’était systématiquement opposé à tout ce que proposaient les démocrates. 

Photo de couverture : Joe Biden au Democratic Wing Ding dans l’Iowa. Photo de Gage Skidmore, sous licence CC BY-SA 2.0.

Édité par Maria Laura Chobadindegui