Justice française: compensation, la solution? 

L’été dernier, suite à une agression lors d’un voyage à Toulouse, j’ai pu découvrir certains aspects controversés de la justice française. Notamment, celui de se constituer partie civile, c’est à dire « demander réparation pour les préjudices subis en tant que victime » soulève des limites. Dans mon cas, cela revenait à demander des dommages-intérêts pour le préjudice moral et physique que j’avais subi. Il s’agissait notamment d’évaluer monétairement ces préjudices afin de déterminer une somme à restituer par le coupable. 

À l’époque, je me suis constituée partie civile pensant que c’était la démarche traditionnelle à suivre, et pour tenter de transformer cet événement en quelque chose de positif. De plus, symboliquement, je souhaitais que le coupable soit rendu responsable face à la société, mais aussi face aux victimes – nous étions trois. 

Devant l’incapacité de mesurer financièrement les conséquences physiques et morales de mon agression, j’ai demandé l’aide d’un service judiciaire. Le montant qu’ils m’ont conseillé de réclamer m’a paru exorbitant. Certes, j’ai perdu plusieurs jours de mon voyage dans le cadre de l’enquête et de ma santé mais je n’estimais pas ces « désagréments » valoir la somme qui m’était conseillée. Quant à l’aspect psychologique, je n’ai tout simplement aucune conception de sa valeur marchande. 

La monétisation des préjudices, notamment psychologiques, me paraît particulièrement déroutante. Comment peut-on mesurer financièrement des séquelles et traumatismes? Peut-on voir un lien direct entre une somme déversée par mois et la santé mentale de la victime ? Certes, il y a des raisons logiques pour ce choix de commodification des préjudices. Tout d’abord, nos sociétés étant organisées autour de la transaction marchande, ce processus paraît alors être ce qu’il y a de plus adapté à notre mode de fonctionnement. De plus, une compensation monétaire est plus facilement adaptable aux besoins des victimes et permet ainsi de faciliter le cas par cas. Néanmoins, monétiser un dommage psychologique est un mécanisme qui peut nous sembler déconnecté, voire absurde. En effet, s’il est difficile de se représenter numériquement une séquelle abstraite, il l’est d’autant plus de se figurer une somme monétaire comme moyen de se défaire d’une plaie psychologique. 

 

Je me suis alors interrogée sur l’impact de la compensation monétaire tant sur le coupable que sur la victime. Pour cette dernière, la somme attribuée fournit un soutien pécuniaire pour faire face aux répercussions financières de l’acte, telles que les jours sans travailler, les dépenses liées à la prise en charge médicale, etc. Plus symboliquement, c’est une façon d’impliquer directement la victime dans le processus juridique, en assurant la légitimité de la justice par l’interaction avec les citoyens. Enfin, c’est un moyen de réajuster la balance, en faisant du perdant le gagnant et inversement, ce qui n’est pas sans rappeler certaines conceptions de la justice divine. 

Quant au coupable, la compensation s’ajoute à la justice de l’État. Or, de par sa condamnation, il répondrait, a priori, déjà de ses torts : alors, qu’est la compensation censée accomplir à son égard et quels sont ses impacts réels ? En discutant de cette expérience avec plusieurs personnes autour de moi, il semble qu’une des conceptions communes de l’objectif des dommages-intérêts est que cela « fasse prendre conscience » au coupable de son tort. Mais n’est-ce pas déjà le rôle de la sentence en tant que telle ? 

Une autre façon de justifier cette compensation serait de dire que « cela lui tiendra lieu d’apprentissage ». Malheureusement, je ne voit pas comment une somme à verser mensuellement puisse être considérée comme un enseignement, et ce pour plusieurs raisons. Dans mon cas précis, le coupable était âgé de 22 ans, il n’était donc probablement pas indépendant financièrement. C’est pourquoi il n’est pas certain qu’il ait été l’émetteur du dédommagement, mais plutôt un proche ou garant financier. De plus, effectuant une peine de prison, il bénéficie donc de peu d’instances pour travailler. Parallèlement, que le coupable soit indépendant financièrement ou non, cette compensation s’ajoute probablement à une situation déjà précaire ou instable, et l’intensifie de ce fait. Ce sont ces mêmes conditions, associées à d’autres facteurs qui l’ont amené à commettre cet acte en premier lieu. Il paraît alors absurde qu’une aggravation des conditions de bases, ajoutée à un séjour pénitentiaire en cohabitation avec d’autres carrières criminelles, puissent avoir un effet dissuasif sur une prochaine infraction, délit ou crime. Dans mon cas, l’auteur des faits était récidiviste une dizaine de fois.

Ces questionnements sont d’autant plus importants que les agressions sont un phénomène courant et en augmentation depuis les dernières années. Selon l’Insee, en 2017, 822 000 personnes de 18 à 75 ans déclaraient avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles hors ménage : une hausse de 11% depuis l’année précédente. La nuit de mon admission aux urgences, les services hospitaliers avaient déjà reçu plus d’une douzaine de victimes d’agressions physiques. 

Face à ces limites inhérentes au système judiciaire, la question de l’impact de ma décision sur le destin de mon agresseur demeure. Ai-je vraiment contribué à plus de justice ? Est-il correct de considérer une justice cumulative, de telle sorte que l’accumulation de sanctions serait proportionnelle à la compréhension du coupable de ses torts et inverse à sa propension à recommencer ? Cette justice aide-t-elle l’individu à sortir de sa carrière déviante et prévient-elle de futurs dommages à la société et aux individus? La Justice peut-elle accomplir sa fonction de la sorte ? Tout dépend de ce que l’on attend d’elle : la punition ou la réparation.

Photo de couverture: The scales of justice de James Cridland sous licence CC BY 2.0