La Chine et les nouvelles routes de la soie en Afrique: de réelles opportunités pour le continent ?

Bien que la croissance économique chinoise connaisse son plus bas taux de croissance depuis près de 30 ans, en partie affaiblie par la crise financière de 2008 et plus récemment par la guerre commerciale avec les États-Unis, le rayonnement mondial de la Chine, lui, ne fait que s’étendre grâce à sa diplomatie et à ses investissements.

Aux origines de la Belt and Road Initiative (BRI) et son développement

Anticipant un ralentissement économique, le Président Xi Jinping a, dès son arrivée au pouvoir en 2013, reconnu l’importance d’investir à l’extérieur du territoire pour sécuriser des sources de revenus et renforcer la position chinoise sur la scène internationale. Cette stratégie a donné naissance au développement des nouvelles routes de la soie – en anglais « One Belt One Road », ou « Belt and Road Initiative » – : le titanesque projet de construction de réseaux d’infrastructures de transport et de communication reliant la Chine au reste du monde.  Le secteur privé chinois a donc été encouragé  à participer au projet : les banques commerciales et capitaux privés représentent de grandes sources d’investissements pour la BRI, et permettent ainsi au pays d’élargir son offre commerciale en surmontant les limites de ses ressources publiques. Perçue comme une menace par certains pays de l’Union Européenne, les nouvelles routes de la soie ne cessent d’étendre leur réseau depuis 2013 et comptaient près de 71 partenaires en 2018, auxquels s’est officiellement ajoutée l’Italie le 24 mars dernier, devenant ainsi le premier pays du G7 à rejoindre l’initiative.

Aperçu de l’envergure de l’initiative chinoise “One Belt One Road”

BRI et l’Afrique

Toutefois, c’est en Afrique que les nouvelles routes de la soie prennent des proportions considérables, en renforçant de manière significative le partenariat économique déjà existant entre le continent et le géant chinois. L’intensification des relations sino-africaines ces dernières années fait suite à l’expansion économique chinoise et illustre une nouvelle tendance générale de la mondialisation, dans laquelle le partenariat Sud-Sud se développe et rivalise avec le traditionnel schéma d’aide Nord-Sud. La Chine est ainsi devenue le premier partenaire économique de l’Afrique en 2011 : la valeur des échanges commerciaux sino-africains est passée de 55,5 milliards de dollars US en 2006 à 210 milliards en 2012.

Lors de sa première visite en Afrique en 2013, dans un discours donné en Tanzanie, Xi Jinping a affirmé sa volonté de collaborer avec le continent pour parvenir conjointement au « développement complet » du territoire. La collaboration sino-africaine et l’initiative BRI s’inscrivent dans une logique de complémentarité économique entre une grande économie en développement mais relativement pauvre en ressources, dont la population est vieillissante, et à un grand continent riche en ressources avec une population très jeune, manquant de capacités infrastructurelles. L’initiative BRI se présente donc comme un programme capable de faire profiter les deux partis. Les projets d’infrastructures fleurissent depuis ce temps dans diverses régions d’Afrique : nouvelles voies ferroviaires au Nigéria, au Tchad et au Soudan, construction du port de Bagamoyo en Tanzanie, sans oublier le projet phare du Standard Gauge Railway ayant pour objectif de relier par les rails le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, et le Soudan du Sud.

Opportunités pour l’Afrique? …

Au vu des immenses profits générés par  les compagnies de construction chinoises à travers l’initiative BRI, il est nécessaire de réévaluer les véritables gains des deux partis dans la collaboration sino-africaine, car ils semblent moins équilibrés que l’initiative Belt and Road le laissait initialement présager.

Il est toutefois certain que les investissements chinois impliquent plusieurs gains potentiels pour le continent. D’abord, l’ampleur des besoins de l’Afrique en matière d’infrastructures est substantiel: il s’élèverait à près de 38 milliards de dollars US par an. La Chine permet de répondre en partie à ce besoin. Par ailleurs, les nouvelles infrastructures, en baissant les coûts de transport des marchandises et des personnes, sont censées bénéficier à l’économie locale. C’est en tout cas ce que promeuvent les dirigeants partenaires africains, tout en insistant sur la potentielle création d’emplois de ces investissements chinois. Au niveau diplomatique, l’indéniable gain de cette coopération pour le continent africain reste la possibilité d’une alternative aux sources de financement traditionnelles telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), souvent accusées de compromettre les décisions africaines avec des conditions de prêts contraignantes. La Chine permet, elle, aux États emprunteurs d’accéder à des capitaux sans conditions : « They don’t give lectures on how to run local governments and other issues I don’t want to mention [Ils ne nous font pas la leçon sur comment gérer notre gouvernement local ni d’autres enjeux que je ne veux même pas mentionner] » avait ainsi déclaré le président ougandais Yoweri Musevini lors de la signature du projet Standard Gauge, en 2014.

Les deux dirigeants, Xi Jinping et Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud, 2018, après que Pékin ait promis 14 millions de dollars US d’investissements dans le pays

De l’autre côté, la collaboration sino-africaine représente de nombreux attraits pour la Chine, car elle bénéficie dans un premier temps de termes l’avantageant grandement : la valeur des marchandises africaines (reposant pour l’essentiel sur des matières premières et ressources naturelles) étant considérablement moins élevée que celle des produits manufacturés chez le partenaire chinois. Par ailleurs, le coût de la main d’oeuvre africaine étant, en moyenne, plus bas qu’en Chine donne aux entreprises chinoises l’avantage de pouvoir délocaliser leurs productions en Afrique, une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle que de nombreuses entreprises du Nord avaient adoptée dans les années 1980 en Chine. L’initiative BRI bénéficie, en outre, considérablement à la Chine en matière de diplomatie, car elle lui permet d’affirmer sa présence dans les zones en développement, inscrivant ainsi son hégémonie dans la durée et envoyant un signal aux pays du Nord industrialisés. Enfin, l’initiative a contribué à une certaine unification chinoise, en stimulant un sentiment de fierté et d’appartenance nationale quant au nouveau rayonnement de la Chine à l’international. Les bénéfices de cette coopération sont donc considérables pour la Chine, et c’est notamment pourquoi nombreux restent sceptiques quant aux véritables opportunités que l’initiative BRI offre à l’Afrique. Pour certains, il s’agirait davantage d’une forme de néocolonialisme.

… Ou nouvelle forme de néocolonialisme?

Les critiques de l’initiative proviennent davantage d’Europe et d’Amérique du Nord que des Africains eux-mêmes qui s’estiment pour la plupart optimistes et confiants envers les rendements de l’initiative BRI. Toutefois, il est troublant de constater que l’approche chinoise présente des points communs avec celle de la colonisation du 19e siècle, qu’une analyse objective de la BRI ne peut se permettre de négliger. En effet, les pays colonisateurs étaient principalement intéressés par l’extraction des ressources naturelles du continent et leur acheminement vers l’Occident. Les voies ferrées et autres infrastructures construites pendant l’ère coloniale, souvent brandies par les colons et leurs partisans comme la preuve de la nature positive du projet, ont davantage facilité le transport des matières premières vers les zones côtières plutôt que d’améliorer les conditions de vie des locaux.  Un parallèle est simple à faire avec l’attitude de la Chine aujourd’hui en Afrique : tout en promouvant la construction d’infrastructures de transports (lignes ferroviaires, ports, aéroports) et le « win-win development », Pékin pourrait tout aussi bien chercher à faciliter l’acheminement des ressources africaines vers l’Asie. La « création d’emplois africains » relative aux investissements chinois est également à revoir à la baisse puisqu’ils concernent davantage les postes à faible valeur ajoutée alors que les postes plus importants sont réservés aux travailleurs émigrés chinois.

Chemin de fer en Uganda

Par ailleurs, si les prêts de Pékin sont octroyés sans ou à un faible taux d’intérêts, ils restent des emprunts qui augmentent la dette africaine, déjà astronomique.  Certains s’inquiètent de savoir si les pays emprunteurs parviendront vraiment à rembourser l’intégralité des prêts, pendant que d’autres spéculent sur l’annulation possible de la dette. Toujours est-il, qu’en octroyant des prêts aussi facilement, le géant chinois encourage les dirigeants africains à s’enfoncer dans un cycle d’endettement qui ne profite pas ou peu à la population locale. Précaution et lucidité doivent donc être les mots d’ordre des dirigeants africains s’apprêtant à signer des contrats avec leur partenaire chinois. Négocier le meilleur contrat possible en s’assurant que les projets d’infrastructures bénéficient véritablement à la population est un impératif. En effet, certains projets sont trop vite acceptés et finissent par être qualifiés « d’éléphants blancs » dans la mesure où leur utilité relative fait grincer des dents. En octobre dernier, l’actuel président sierra-léonais, Julius Maada Bio, a fait preuve d’un très grand pragmatisme en annulant le projet de construction d’un nouvel aéroport financé par la Chine qu’il jugeait « non-nécessaire ».

Enfin, les conséquences sociales et locales de tous ces flux financiers ne doivent pas être relativisées. La population chinoise expatriée en Afrique ne cesse de se développer et n’est pas sans affecter la vie des locaux. Beaucoup de ces immigrés chinois sont des entrepreneurs indépendants qui établissent leur commerce dans les grandes villes du continent et rivalisent directement avec les entrepreneurs locaux. En outre, plusieurs témoignages ont révélé que les immigrés chinois arrivent avec leurs doses de préjugés racistes sur le continent, ce qui conduit à des relations malsaines entre patrons chinois et travailleurs africains. Dans un article paru dans le New York Times, certains employés kenyans expliquaient que leurs toilettes étaient parfois séparées de celles de leurs patrons chinois, pendant que d’autres avouaient s’être fait surnommés de « singes » à plusieurs reprises, notamment sur le chantier du Standard Railway; une ambiance austère qui n’est pas sans rappeler celle qui planait sur la construction du chemin de fer Congo-Océan.

Edited by Charles Lepage