L’affaire Sarkozy : l’informelle immunité judiciaire des présidents mise à mal

Le 1er mars dernier, le Tribunal correctionnel français a rendu sa décision sur un procès grandement médiatisé, et empreint d’un retentissement politique : l’accusation de Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, par le Parquet National Financier (PNF) pour « corruption et trafic d’influence ». Entamée en 2012 par le PNF, l’enquête a dû surmonter de nombreux défis et obstacles de procédure avant de faire comparaître la poursuite de Sarkozy devant les trois magistrats responsables de ce jugement. Avec une condamnation à trois ans de prison dont un an ferme, cette affaire génère des réactions des plus polarisées. En plus de faire trembler une classe politique qui s’est longtemps pensée intouchable, l’affaire dite des « écoutes » divise une partie des Français et fait ressurgir, entre autres, le débat de l’indépendance judiciaire.

Un cas légal épineux 

Depuis la fin de son mandat, Sarkozy est frappé par plusieurs procès hautement médiatiques. Le PNF poursuit aujourd’hui Sarkozy pour corruption et trafic d’influence vis-à-vis d’un des plus hauts magistrats français, Gilbert Azibert, dans le but d’obtenir des informations liées à un autre procès à son encontre. En effet, l’ancien président était inculpé pour abus de confiance à l’encontre de Liliane Bettencourt, de qui il aurait soutiré des fonds dans le but de financer sa campagne électorale de 2007 lorsque cette dernière était encore à la tête de l’empire L’Oréal. En échange de ces informations, Azibert aurait dû être promu à un haut poste à Monaco. La poursuite judiciaire base aujourd’hui son cas sur plus de 4 000 heures d’écoutes entre Sarkozy et son avocat de l’époque, Maître Thierry Herzog. Ces dernières sont fondamentalement contestées par la défense puisqu’elles auraient dû être protégées par le secret professionnel. Si aucun des deux partis n’a reçu sa compensation, les informations recueillies par le biais des écoutes, ainsi que les instances de démarches entreprises par Azibert, constituent un ensemble de « faisceaux d’indices graves » sur lequel le PNF base son cas

Bien que la Cour de cassation ait approuvé la légitimé d’un faisceau d’indices convergents dans la construction d’un cas, la ligne peut sembler fine entre la condamnation et la relaxe. L’avocate de Sarkozy, Maître Jacqueline Laffont, soutient que cette condamnation a été délivrée à partir d’un « désert de preuves » à l’appui des accusations du PNF et qualifie ce procès d’« acharnement politique ». Le jugement est ainsi considéré comme disproportionné par la défense : il n’y aurait en effet aucun trouble à l’ordre public et le parti visé par la tentative de corruption n’a pas reçu de compensation. En outre, bien que ces procédures aient été approuvées par la Justice, le fait que l’enquête préliminaire du PNF ainsi que les écoutes entre Sarkozy et son avocat aient d’abord été menées dans le secret a  été vivement critiqué par la défense. À l’issue du jugement du Tribunal correctionnel, la défense a immédiatement fait appel, suivie de près par le PNF. Cette condamnation est donc devenue annexe, et il en revient maintenant à la Cour d’appel de trancher par un nouveau jugement.

Le procès du PNF

Le cas ne permettant pas de se prononcer clairement en la faveur ou à l’encontre de Sarkozy, ce jugement est particulièrement vulnérable à la critique et fait ressurgir le débat sur la légitimité du PNF. Créé en 2014 suite à l’affaire Jérôme Cahuzac, ministre délégué au Budget condamné pour fraude fiscale, le PNF a pour mission de traquer la grande délinquance économique et financière. Largement contestée par une partie de la classe politique, certains voient cette institution comme un outil politique visant à faire tomber les personnalités politiques de droite. En effet, depuis l’affaire Cahuzac – homme politique de gauche – le PNF a poursuivi Sarkozy, mais aussi le couple Balkany, condamné pour fraude fiscale, et François Fillon pour l’affaire des emplois fictifs, tous trois issus de la droite. Qui plus est, le cas Fillon a explosé en pleine campagne électorale de 2017, renforçant davantage les suspicions de biais politique. 

L’intervention même du PNF dans l’affaire Sarkozy, qui n’implique pourtant aucune corruption de nature financière, ainsi que son choix de faire également appel à la décision pourtant favorable du Tribunal, continuent d’alimenter la narrative d’un acharnement institutionnel. En effet, faire appel aux côtés de la défense permettrait notamment à la Cour d’appel d’imposer une peine plus élevée que celle du Tribunal correctionnel, si tant est que Sarkozy soit à nouveau condamné. Entre rigueur judiciaire et acharnement politique, le PNF, déjà critiqué dans les précédentes affaires, doit aujourd’hui faire face à son propre procès. Malgré les critiques essuyées par le PNF, l’institution demeure un simple parti dans l’affaire, et non le responsable de l’issue du procès. 

Jean-François Bohnert, directeur du Parquet National Français (PNF). Photo par Corvettard, sous licence CC-BY-SA 4.0.

L’indépendance judiciaire : que peut la justice face à la classe politique?

Depuis quelques années – que ce soit par le procès de Jacques Chirac, jugé 15 ans après les faits, le cas des Balkany ou celui des Fillon – la justice semble enfin atteindre la sacro-sainte classe politique. Cependant, l’affaire Sarkozy choque et divise davantage en raison des nombreux éléments contestés dans le dossier du PNF. Là où la droite crie à  l’acharnement judicio-politique, la gauche se réjouit de voir l’immunité informelle des hommes d’États affaiblie et estime que le PNF met fin au laxisme judiciaire qui gangrène la société. Certains trouvent même ce jugement insuffisant, considérant un an de détention ferme à domicile comme une faveur politique plutôt qu’un jugement démesuré. Maître Laffont a fini par résumer ce jugement à une prise de parti entre Sarkozy et le PNF, plutôt qu’à une décision de justice neutre. Selon elle et l’entourage de Sarkozy, exonérer Sarkozy reviendrait à dire que la magistrature s’opposait à la ligne politique du PNF, et donc à l’institution source. En d’autres termes, cette condamnation en justice aurait été soumise de manière inhérente à de fortes pressions politiques.

Alors quelles étaient les motivations du Tribunal correctionnel dans le rendu de cette décision? En dépit du dossier judiciaire controversé, la magistrature aurait pu voir dans l’affaire des écoutes une opportunité de marquer un tournant dans le rapport entre la Justice et les politiques qui, jusqu’alors, maintenaient une certaine immunité informelle face aux tribunaux. Ainsi, cette décision, bien que subordonnée à celle de la Cour d’appel, pourrait être un premier pas vers la fin de l’impunité politique, quitte à faire preuve de plus de rigueur dans les cas épineux comme celui-ci : ce sera tolérance zéro à partir de cette affaire. En d’autres termes, cette décision initiale serait une étape nécessaire pour ébranler le laissez-passer politique dans les Tribunaux.

Finalement, les croisades politiques mettent à mal l’État de droit, prônant la prévalence du droit sur le politique. En effet, la tendance à reléguer les affaires visant des hommes d’État à des décisions politiques, plutôt que judiciaires, pervertit la légitimité de l’autorité des Tribunaux et gangrène les procédés de justice. Alors, quid de l’indépendance judiciaire? Véritable clé de voûte des sociétés démocratiques, elle est le bouclier contre la toute-puissance de l’exécutif. Et si elle ne doit pas non plus offrir cette toute-puissance au corps judiciaire, les juges, limités aux cas qui comparaissent devant eux et répondant à l’autorité du Code plutôt qu’à la volonté de plaire à l’électorat, demeurent moins susceptibles d’agir en leur propre intérêt. Bien qu’aucun mécanisme ne puisse garantir leur impartialité absolue, des institutions judiciaires solides et indépendantes restent donc essentielles au bon fonctionnement de toute société démocratique.

La condamnation du Tribunal correctionnel ayant été abrogée suite à la procédure d’appel, il en revient désormais à la Cour d’appel de trancher afin de soutenir, ou non, ce tournant dans les relations politico-judiciaires. Reste à voir le traitement d’autres procès et d’autres politiques afin de déterminer si l’affaire des écoutes était une perversion temporaire des institutions, ou bien un véritable pas vers la fin de l’impunité politique.

Édité par Apolline Bousquet. 

Image de couverture : Photo par Moritz Hager/World Economic Forum, sous licence CC BY-NC-SA 2.0.