L’Arabie saoudite après le pétrole : La Vision 2030 et ses ambitions

En octobre 2018, lors du forum de la Future Investment Initiative à Riyad, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) affirme : « Je pense que la nouvelle Europe, c’est le Moyen-Orient […] Je ne souhaite pas quitter cette vie avant que le Moyen-Orient soit au premier plan mondial. Et je pense que cet objectif sera atteint à 100%. » À ses côtés se tiennent le prince héritier de Bahreïn, Salman bin Hamad Al-Khalifa, et l’ancien premier ministre libanais Saad Hariri, qui applaudissent les paroles du prince ambitieux. Depuis quelques années, la société et l’économie saoudiennes se métamorphosent. Le plan de développement Vision 2030, mené par MBS, a pour but de faire rayonner l’Arabie saoudite à l’échelle internationale et de diversifier l’économie du pays, qui dépend grandement du pétrole.

Le pétrole a complètement transformé la scène économique et politique de l’Arabie saoudite dès les années 1970. Certes, nul ne peut nier les développements socio-économiques considérables engendrés par les retombées de l’industrie pétrolière. La qualité de vie a progressé sur de nombreux fronts, comme l’infrastructure et l’éducation. Cependant, sur le long terme, la richesse pétrolière provoque une dépendance dangereuse. Au XXIe siècle, le monopole de l’industrie pétrolière contribue au délaissement d’autres secteurs économiques et détruit les motivations de développement durable. C’est à ce juste titre que l’Arabie saoudite procède à des stratégies de diversification, notamment par la mise en place du plan Vision 2030 en 2016. Présenté par le prince héritier, ce plan vise à diversifier et à développer l’Arabie sur trois fronts : économique, social et gouvernemental. C’est entre autres en encourageant le secteur financier et la privatisation que l’Arabie saoudite souhaite s’éloigner du pétrole, qui représente aujourd’hui 42% du PIB saoudien.

Une richesse aux effets exponentiels

C’est au puit Dammam no.7 que la California Arabian Standard Oil Company trouve sa première source d’or noir en 1938. Cette compagnie deviendra Saudi Aramco en 1988 après un processus de rachat par l’État saoudien lors des années 1970. Celle-ci est aujourd’hui l’une des plus grandes compagnies au monde en termes de revenus. Sa production est estimée à 11 millions de barils par jour en 2020. À titre de comparaison, ExxonMobil, seconde société pétrolière après le géant saoudien, a atteint une production journalière de 2,3 millions de barils cette même année.

Les fortunes générées par les revenus pétroliers ont mis en place un contrat social particulier entre la population et la famille royale : le peuple assure son allégeance politique en échange d’un soutien économique et financier transmis par un système de patronage et d’alliances complexe. Ainsi, l’or noir a incité la naissance d’un système dont le fonctionnement repose sur les prix d’une ressource instable et limitée. Ce système a fonctionné pendant des décennies. Entre 1990 et 2010, le PIB saoudien double presque.

La dépendance, un lourd fardeau

Cependant, en 2008, le prix du baril de pétrole a chuté en raison de la crise financière mondiale. Le pétrole représente 90% des exportations saoudiennes, et 13% de ces dernières parviennent aux États-Unis. À ce titre, une réduction des importations de pétrole dans de nombreux pays, ainsi que d’autres facteurs liés à la crise, ont engendré une baisse des exportations par l’Arabie saoudite. Par conséquent, en 2009, le PIB saoudien a diminué de 2.1% et l’excédent du compte courant est tombé à 4,9% contre 25% l’année précédente. Puis, entre 2014 et 2016, le prix du baril est tombé en chute libre. Cette baisse de 70%, une des plus importantes de l’histoire, est notamment due à un surplus mondial de l’offre. Le baril a atteint 36$ en 2016, un chiffre bien inférieur au 80$ de prix d’équilibre requis par le royaume : prix auquel les coûts de production et d’acquisition sont couverts, permettant à l’industrie pétrolière du pays de faire un profit.

Depuis 2005, le prix du baril fait face à des fluctuations agressives, une instabilité qui fait mal à l’économie et au régime saoudien. Mener une économie sous la tutelle de l’industrie pétrolière est source de risques dont les effets sont de plus en plus concrets depuis 2008. Plus récemment, la COVID-19 n’a fait que réitérer l’importance de se détacher du monopole économique pétrolier. Comme le graphique ci-dessous l’illustre, une relation importante existe entre le prix du baril et la croissance économique en Arabie saoudite.

Saudi GDP growth and crude oil prices
Croissance du PIB de l’Arabie saoudite de 1990 à 2014 (en rouge) comparée au prix du baril Brent (en mauve). Données de la U.S. Energy Information Administration, sous licence CC0.

D’après une étude sur le futur des tendances économiques dans le royaume, effectuée par le McKinsey Global Institute en 2015, si l’Arabie saoudite n’adoptait pas de nouvelles directives politiques et économiques, le taux de chômage monterait à 22% et la dette publique pourrait atteindre les 2 trillions de dollars en 2030. Ces statistiques appuient l’État saoudien dans sa lutte contre la dépendance au pétrole, guidée par le plan Vision 2030.

2030, un royaume nouveau 

Le plan Vision 2030 présente 3 objectifs fondamentaux, qui sont économiques, gouvernementaux et sociétaux. Sur le plan économique, l’objectif primordial est la réduction de la dépendance aux hydrocarbures, notamment par le développement de secteurs non-pétroliers de 16 à 50% du PIB et par la hausse de la part du secteur privé de 40 à 65% du PIB.

Un des secteurs majeurs de cette stratégie de diversification est la finance. Lancé en 2017, le Financial Sector Development Program vise à encourager la création d’institutions financières afin d’assurer le soutien du développement du secteur privé. Dès 2019, Saudi Aramco entame son entrée à Tadawul, la bourse de Riyad, mettant en vente seulement 1,5% de son capital. Ce fut la plus grande introduction en bourse (initial public offering, OPI) de l’histoire. Celle-ci marque le début d’une nouvelle ère en Arabie saoudite, qui envisage de vendre 49% de son géant pétrolier en dix ans selon le journal saoudien Al-Eqtisadiah. Certes, les résultats de cette première offre initiale vont stimuler des investissements de diversification importants. En effet, les revenus générés pourraient se traduire en une série d’investissements dans différents secteurs, notamment par le Public Investment Fundcréant des opportunités et de l’emploi hors l’industrie pétrolière. Ces investissements permettraient de créer un contexte économique plus compétitif et efficace, selon une étude de Marsh & McLennan Companies.

Cependant, l’entrée en bourse d’Aramco ne sera pas le point tournant que le prince héritier prévoyait initialement. Saudi Aramco demeure une compagnie peu transparente et non régulée, chose qui va à l’encontre d’une offre publique. Cette opacité nuit aux prédictions des experts et des investisseurs. Comme la firme est si proche du régime, il est difficile de distinguer la séparation entre le gouvernement saoudien et Saudi Aramco. De nombreux investisseurs étrangers hésitent donc à engager des sommes importantes dans une firme contrôlée par une famille royale, dans un pays à l’inclusion économique insuffisante et à la géopolitique instable. Cette réticence est exacerbée par un contexte global où les énergies renouvelables prennent de plus en plus d’ampleur.

La finance ne représente toutefois qu’un des domaines guidant le développement du secteur privé non pétrolier. Un Programme de privatisation a également été mis en avant en 2018. Son but est de réduire les coûts, de promouvoir la compétitivité et d’attirer les investissements étrangers directs. Les projets initiés dans le secteur de l’eau représentent un volet important de ce programme. Les usines de dessalement à Ras al-Khair et Yanbu’ ont notamment été privatisées à 60% en janvier 2021. Cette privatisation permettrait le nouveau rayonnement d’une société productive aux services amplifiés. Le processus demeure à son commencement, mais cette stratégie pourrait avoir des conséquences positives pour l’économie saoudienne. Ces décisions pourraient mener à plus d’inclusion et de libéralisation économique, multipliant les opportunités dans un pays fortement inégalitaire où 20% des habitants vivent dans la pauvreté.

Ainsi, Vision 2030 est un projet dont les ambitions sont immenses et dont les résultats pourraient générer une société complètement métamorphosée. Toutefois, la pauvreté demeure un problème majeur et difficile à aborder dans le royaume, particulièrement lorsque l’industrie pétrolière ne parvient pas à honorer les exigences du contrat social. Les mesures d’austérité mises en place ces dernières années contribuent à l’avancée de la Vision 2030 mais nuisent aux citoyens moins aisés. L’économiste saoudien Ihsan Bu Haliqa affirme qu’il y a « une nécessité urgente de restructurer la sécurité sociale en Arabie saoudite. » Une urgence qui peut sembler contraire aux directives de privatisation à travers le pays. La privatisation de secteurs comme la santé, l’éducation et l’eau, censés alimenter la croissance économique, pourraient avoir des effets néfastes sur la vie quotidienne de millions de Saoudiens si les développements de la Vision 2030 omettent de donner les outils nécessaires au peuple. Conjointement au développement économique, un développement humain est essentiel.

Édité par Maria Laura Chobadindegui.

 

En couverture: Photo de B. Alotaby montrant la ville de Riyad, capitale de l’Arabie saoudite. Sous licence CC BY-SA 4.0.