Le Football Féminin, “une boîte de Pandore” féministe

En octobre 2019, la FIFA dévoile les chiffres clés de la Coupe du Monde 2019. En rassemblant plus d’un milliard de téléspectateurs, cette compétition atteint des records historiques, illustrant ainsi des progrès faramineux quand au développement du football féminin. Mais qu’en est-il aujourd’hui du football féminin? Que se cache derrière le silence sur le rôle de la femme dans le sport? Partout dans le monde, le football féminin continue de se heurter à des obstacles de toutes natures. A des échelles plus locales, certaines équipes féminines semblent vivre ces inégalités plus douloureusement que d’autres. Pour certaines filles, ce combat, trop souvent réduit au silence, est bien plus qu’une lutte sportive, c’est un réel engagement social et culturel. Ainsi, en Argentine, cette lutte est particulièrement représentative du développement croissant des mouvements sociaux pour défendre le droit des femmes. 

Avant d’aborder les problématiques propres au football féminin argentin, il est nécessaire de reconnaître que ces inégalités sont présentes partout dans le monde. Regardons quelques exemples précis. Aux Etats-Unis, les joueuses, championnes du monde pour la quatrième fois cet été, réclament un salaire égal à celui offert aux professionnels masculins, dont la performance nationale reste bien moins remarquable. L’absence à la Coupe du Monde 2019, d’Ada Hegerberg, première gagnante du Ballon d’Or Féminin, pèse lourdement sur la Fédération de Football Norvégienne. Celle-ci peine à satisfaire les demandes d’égalité, à l’origine du boycott de la star nationale. En France, alors que le football français connaît ses heures les plus glorieuses en vingt ans, depuis la victoire des Bleus en Russie en Juillet 2018,  le football féminin est encore loin de générer la même ferveur. En effet, cet été, les chaînes publiques telle TF1 ne diffusaient que les matchs de la France et L’Équipe semblait toujours prioriser les aventures des Espoirs à l’Euro. La FIFA elle-même n’avait pas considérer l’importance d’accorder à la Coupe du Monde Féminine sa propre journée de finale, en organisant au même moment la finale de la Copa America et de la Gold Cup, deux compétitions masculines. Ces problématiques sont persistantes et pertinentes dans le monde entier. Toutefois, elles se mesurent à des niveaux très différents selon la situation socio-politique et économique des pays.  

Les défis du football féminin argentin

Estefania Banini, attaquante de l’équipe nationale d’Argentine, sous licence CC BY-SA 2.0

La réalité du football féminin en Argentine est bien moins glorieuse que celle que l’on s’imagine pour l’équipe masculine, historiquement poussée vers le haut par des joueurs emblématiques comme Diego Maradona ou Lionel Messi. Après avoir été éliminée dès les phases de poules cet été en France, l’équipe nationale argentine prend conscience que sa reconstruction doit aussi passer par des changements institutionnels majeurs. Dans une interview en juin dernier, Estefania Banini, attaquante de l’équipe nationale, avait déclaré que son équipe est “habituée à combattre la discrimnation, l’inégalité et le  manque de ressources”. En effet, avant la compétition en France, l’équipe nationale d’Argentine avait connu la crise la plus importante de son histoire; la Fédération n’avait pas su leur accorder de réelles entraînements, le matériel nécessaire et même un entraîneur officiel, pendant plus de deux ans de 2015 a 2017. Leurs chances de réussites étaient d’emblée considérablement réduites. Si le niveau professionnel fait face à des obstacles de grande envergure, on peut s’imaginer que sur la scène amateure, le football féminin rencontre des entraves tout aussi profondes et représentatives des conditions socio-politiques du pays.

La crise économique qui persiste depuis quelques années semble s’aggraver dans les derniers mois, et ne favorise pas le développement de cette parité. En effet, de nombreuses femmes sont victimes de cette récession. En raison principalement des stéréotypes associés à la femme, les mères actives sur le marché du travail souffrent d’un double fardeau de temps et d’argent. Ces normes sociétales et culturelles caractérisent aussi le football comme un sport masculin, et ont ainsi tendance à laisser les filles sur la touche. 

Le Football: un tremplin vers l’émancipation des femmes?

Manifestations féministes à Paraná, Argentine. “International Women’s Strike – 8M – Paraná – Entre Ríos – Argentina – March, 2019” par Paula Kindsvater est sous licence CC BY-SA 4.0.

En Argentine, la conscience féministe date en partie de la figure politique d’ Eva Perón, femme engagée et épouse du Président Juan Perón dans les années 50. Plus d’un demi siècle plus tard, cette conscience est grandissante. Malgré les conséquences mitigées de son double quinquennat, l’élection à la présidence de Cristina Fernández de Kirchner illustre cette évolution. En parallèle au combat pour l’avortement et contre la violence conjugale, la question de la parité hommes-femmes dans le monde du sport cherche encore une solution concrète dans le pays.  

Monica Santino, ancienne footballeuse argentine des années 80/90, est l’une des forces dominantes du développement du football féminin dans son pays. Après une jeunesse dédiée au football et caractérisée par la militance, cette quinquagénaire se bat encore pour l’égalité des sexes dans le monde du football.  En 2012, elle crée le Club La Nuestra dans le quartier défavorisé de Guemes, afin d’offrir aux jeunes filles la voix et la force de se battre pour leur place dans la société. Elle décrit le statut vulnérable de la femme dans les quartiers les plus pauvres de la capitale de Buenos Aires en déclarant que “dès son plus jeune âge, une femme doit prendre en charge toutes les tâches ménagères…elle doit s’occuper des plus jeunes et des plus vieux et devenir mère le plus tôt possible”. Sa lutte ne résume donc pas seulement une inégalité dans le monde du football. Elle voit le football comme un moyen d’offrir à ces jeunes filles des opportunités de développement personnel et d’émancipation.  

Santino n’est pas la seule à mener ce combat en Argentine. Anuka Fuks, journaliste indépendante et coach des Picantes à Buenos Aires évoque aussi la lutte quotidienne que représente le football féminin en le décrivant comme un “réel sujet sociopolitique et culturelle”.  Selon elle, les jeunes femmes jouent sur le terrain pour se “battre contre le patriarcat”. Elle fait référence ici à l’idée selon laquelle la performance sportive est l’un des éléments les plus constitutifs de l’idéal de masculinité. Elle parle du football comme une forme de décolonisation du corps féminin sur lesquels de “nombreux mythes se sont construits”. Ainsi, pas surprenant que Monica Santino décrivent le développement du football féminin comme “une vraie boîte de Pandore!”. Tout comme le football masculin, le football féminin est le symbole de rassemblement et d’inclusion permettant de réfléchir à certains sujets fondamentaux tels que les droits et libertés des femmes à travers tous les secteurs. 

Monica Santino à Buenos Aires, 2018. “Mónica Santino – Entrenadora – Fútbol Feminista – 1” par Andreslbasualdo est sous licence CC BY-SA 4.0.

Des résultats prometteurs mais un chemin encore laborieux

En Argentine, le football est bien plus qu’un sport, c’est une religion. Sur l’ensemble du continent sud-américain où sont nées les plus grandes stars de l’histoire du ballon rond – Ronaldinho, Pele, Maradona, Messi –  le football fait parti du quotidien. Pourtant, le statut du football féminin est encore très précaire et prend une place moindre dans l’esprit des amateurs de football. Ce sport représente pour les jeunes filles et les femmes argentines une forme d’émancipation qui leur permet parfois d’échapper, temporairement ou définitivement aux conditions socio-économiques instables dans lesquelles beaucoup d’entre elles évoluent. Si pour de nombreux jeunes garçons, le football est aussi un issue de secours, pour les jeunes filles, cette échappatoire est souvent le symbole d’un combat féministe. Cette lutte connaît, comme nous l’avons vu, des progrès sans précédent, mais le chemin vers l’égalité totale reste long et laborieux pour ces femmes. Le discours de Marta, la légende brésilienne du football féminin, après avoir disputé ce qui était surement son dernier match en Coupe du Monde, restera longtemps dans les esprits de tous les amateurs de Football: “Toutes les équipes ici représentent le football féminin et ce n’est pas seulement du sport. C’est aussi une lutte pour l’égalité à tous les niveaux”. 

Photo de couverture: Petite fille argentine joue au football avec des garçons à Buenos Aires, Argentine. “Futbol_mixto_niña_futbol_femenino_river_boca_argentina” par TitiNicola est sous licence CC BY-SA 4.0.


Edité par Salomé Moatti