Le Sentiment Anti-Français se Développe en Afrique Francophone. Comment le Dépasser ?

«La France, dégage !» Voilà ce que l’on lit sur les pancartes lors d’une manifestation devant l’ambassade de France nigérienne, quelques jours après le coup d’Etat du 26 juillet dernier. Bamako, Ouagadougou, Conakry, Niamey, Libreville… les coups d’Etats s’enchaînent en Afrique francophone et le sentiment anti-français grandit, surtout auprès des jeunes. Le rejet de la France est exprimé partout : lors de manifestations, sur les réseaux sociaux ou dans les discours des chefs des juntes militaires au pouvoir. D’où vient ce sentiment anti-français, et comment le surpasser pour reconstruire les relations franco-africaines ?

Un passé colonial

Ce sentiment anti-français trouve ses racines dans le passé colonial et la période post-coloniale. Après la seconde guerre mondiale, les liens entre la France et l’Afrique ont commencé à être qualifiés de «Françafrique». Cette expression désigne la relation néocolonialiste entretenue entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne sur les plans économique, monétaire, diplomatique et militaire. Dans les années 80, l’influence française en Afrique était incontestable et même à son apogée. Cependant, après la disparition de l’Union sovietique, les enjeux ont changé, et la présence militaire en Afrique n’était plus réellement nécessaire pour assurer la paix et la stabilité. L’hexagone a alors commencé une aide au développement avec le but de promouvoir le modèle de démocratie occidentale.

Le discours du président François Mitterrand, prononcé à La Baule lors de la 16e Conférence des Chefs d’État de France et d’Afrique (1990), a ainsi invité ses partenaires à mettre un terme au régime de parti unique et à se tourner vers le multipartisme. Les anciennes colonies françaises s’y sont alors engagées, quelque peu contraintes et forcées. La vérité est que la démocratie n’était qu’un prétexte : la France ne cherchait qu’à garder son influence sur l’Afrique. Elle s’est posée en gardienne de la démocratie, en réalité défenseuse d’une démocratie maquillée : elle a applaudi les élections truquées tout en se présentant comme pourvoyeuse de «solutions pour l’Afrique». Soutenues par Paris, les élites politiques africaines ont mis en place des régimes corrompus et se sont fossilisées, ce qui a mis à mal le développement économique des pays.

Aujourd’hui, l’époque des faux-semblants democratique s’achève, et les coups d’Etat se succèdent dans des nations en crise. El Hadj Souleymane Gassama, dit Elgas, docteur en sociologie, affirme sur RFI : «La démocratie est perçue par la population africaine comme une injonction occidentale, un système qu’ on a imposé à l’Afrique de l’extérieur et qui est captive d’une élite corrompue. On dit que la démocratie s’essouffle en Afrique, mais cette démocratie n’a finalement jamais été réellement enseignée à la population ni vraiment comprise par elle.»

Des activistes contestent l’influence de la France en Afrique lors du mouvement la Nuit Debout en 2016. Image de Francis McKee sous licence CC BY 2.0 DEED

Le sentiment anti-français trouve ainsi ses racines dans l’histoire des relations franco-africaines. Elgas explique d’ailleurs que l’expression «sentiment anti-français» est contestée en Afrique : elle sous-entendrait faire appel aux seules émotions et non à la raison. Mais pourquoi ce sentiment est-il si intense en ce moment ? Dans le contexte des coups d’Etats à répétition, les putschistes l’instrumentalisent pour asseoir leur légitimité.

Au Niger, attiser le ressentiment envers la France permet à la junte de fédérer la population et de faire oublier l’impact des sanctions de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) sur le quotidien (le prix de la vie qui augmente, les pénuries, la diminution des salaires). Abdourahamane Tiani, chef de la junte qui a pris le pouvoir, affirme le 30 septembre que le «peuple» va «dicter» les futures relations avec la France. Le nouveau régime nigérien avait précédemment ordonné l’expulsion de l’ambassadeur français et des troupes tricolores. Un discours souverainiste se développe ainsi en Afrique francophone, chez les élites et chez les jeunes. La jeunesse africaine, privée massivement d’avenir, préfère des militaires putschistes à des présidents élus : pour elle, le coup d’Etat paraît être le seul moyen de se débarrasser d’un régime honni assimilé à la France. Une grande partie de la population considère ainsi les coups d’État comme des actes d’émancipation, malgré une vision politique des putschistes fragile, voire absente. Dans un contexte où le terrosime continue à faire rage au Sahel et où l’on vit dans la pauvreté, malgré les aides militaires et le soutien au développement apportés par la France, la légitimité de la présence de l’hexagone sur le continent est remise en question.

Comment réinventer les relations franco-africaines ?

Quel doit être le rôle de la France aujourd’hui en Afrique francophone ? La France et l’Afrique ont beaucoup à s’apporter. N’est-il pas temps d’abandonner les méthodes du passé et de plutôt faire appel au soft power et à une meilleure écoute des populations ? Mettre en sommeil l’outil militaire trop souvent brandi, a tort ou a raison ? La France devrait poursuivre son devoir de mémoire, tout en sortant définitivement de la Françafrique. Dans un contexte de changement climatique, les relations franco-africaines pourraient être rebâties dans les secteurs économique, scientifique et financier, sur une balance de pouvoir plus équitable. C’est ainsi que la France pourrait redorer son image et mieux défendre ses intérêts, en apportant une contribution positive à l’avenir du continent africain.

Si Paris a accru sa présence militaire sur le continent ces dernières années, elle y a pourtant perdu beaucoup de son poids commercial. Les parts de marché à l’exportation de la France en Afrique ont été divisées par deux depuis 2000, passant de 11 % à 5,5 % en 2017. Cette diminution est aussi due à la nouvelle concurrence avec les nombreuses autres puissances qui convoitent les ressources africaines, comme la Chine, la Russie ou les Etats Unis. La Chine, qui a créé en 2000 le Forum sur la Coopération sino-africaine (FCSA), est aujourd’hui premier investisseur étranger en Afrique (le commerce entre la Chine et l’Afrique a augmenté de 11% en 2022). La Russie joue également un rôle important sur le territoire, notamment sécuritaire, avec une présence accrue de son groupe paramilitaire Wagner. La France se retire et est peu à peu remplacée par la Chine et la Russie, qui s’opposent à l’occident et mettent systématiquement en avant le respect des souverainetés nationales dans leurs discours.

5ème Conférence ministérielle du Forum sur la Coopération sino-Africaine. Image de GovernmentZA sous licence CC BY-ND 2.O DEED

La politique actuelle du président Emmanuel Macron échoue, malgré sa volonté de reconstruire des liens solides avec ses partenaires africains. Les ambiguïtés du sentiment anti-français doivent être débattues et dépassées, afin de tenter de désamorcer la machine à haine. La France et l’Afrique francophone seraient alors en capacité de partir sur de nouvelles bases, dans le contexte géopolitique multipolaire actuel sujet à de nombreuses tensions.

Édité par Victor Menant. 

En courverture: Sommet Afrique-France à Bamako en 2017. Photo de Paul Kagame sous licence CC BY-ND 2.O DEED