Les femmes dans les maras : victimes consentantes d’un machisme hyper-violent?

Bang! Bang! 

Ce son résonne tout au long du documentaire La Vida Loca de Christian Poveda, qui plonge dans l’univers funeste des gangs salvadoriens. Le triangle du Nord d’Amérique centrale, composé du Honduras, du Salvador et du Guatemala, est l’un des endroits les plus dangereux de la planète, malgré l’absence de guerre déclarée. Avec un taux d’homicide supérieur à 40 décès pour 100 000 personnes au Honduras et au Salvador, cette insécurité tient surtout des luttes de pouvoir entre différents gangs, aussi appelés maras ou pandillas, mais aussi avec le gouvernement. Cette violence est généralisée à l’échelle de la société, mais prend à l’égard des femmes une nette dimension genrée. Espaces sociaux marginalisés et meurtriers, les maras représentent, exacerbent et perpétuent les violences machistes présentes dans ces sociétés. 

De Los Angeles à l’Amérique centrale : pauvreté, stigmatisation et aliénation

Les maras centraméricaines sont directement liées aux gangs criminels qui ont émergé dans les années 1980 à Los Angeles. De nombreux migrants s’étaient alors installés aux États-Unis pour fuir des conflits en Amérique centrale. Ceux-ci habitaient les quartiers défavorisés de zones urbaines telles que Los Angeles. Pour se protéger, plusieurs immigrés se sont unis à des gangs de rue déjà présents, comme le Barrio 18 (B-18), ou en ont créé de nouveaux, comme la Mara Salvatrucha (MS-13). Pendant les années 1990, lorsque la politique migratoire des États-Unis s’est durcie, des milliers de migrants clandestins ont été expulsés. De retour dans leur pays d’origine, beaucoups de ces jeunes mareros (gangsters), stigmatisés, se sont regroupés et ont réorganisé leurs gangs. Plus forts et mieux organisés que les gangs locaux, ils les absorbent. Depuis, ces maras sont à l’origine d’une violence et d’une insécurité extrêmes dans les pays du triangle du Nord. Aujourd’hui, 80% des homicides perpétrés au Honduras, au Salvador et au Guatemala sont attribuables à ces gangs. Ceux-ci organisent, régissent et surveillent de larges portions de territoires, menaçant la souveraineté de ces États. 


Taux d’homicides intentionnels (pour 100 000 personnes) en 2018. Carte de la Banque mondiale, chiffres tirés de la base de données de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime. Sous licence CC BY-4.0.

Les maras : une hyper-violence misogyne

La violence au sein des maras imite les rapports de genre déjà présents dans la société, fondés sur une masculinité abusive. Beaucoup de jeunes de quartiers marginalisés ne peuvent pas atteindre un idéal masculin de succès public, social et économique alors ceux-ci trouvent dans les gangs une voie pour reconstruire leur identité. Ils partagent des symboles, des rituels et des valeurs, et produisent une sous-culture dans laquelle se récupère et s’exacerbe cette masculinité hégémonique. 

Un exemple de cette violence fondée sur des stéréotypes de genre réside dans les rituels d’initiation : pour faire officiellement partie des maras, les garçons et hommes sont littéralement roués de coups. Cet acte renvoie à un idéal masculin de l’homme fort, insensible et violent. Les violences contre les femmes sont normalisées et font partie intégrante de la notion de masculinité. À la place d’être battues, ces dernières peuvent choisir d’avoir une relation sexuelle avec plusieurs hommes. Des rapports sexuels forcés avec des leaders mareros peuvent également servir de prélude au recrutement de jeunes adolescentes. Enfin, leur potentielle trahison ou faute est généralement punie de viol par plusieurs membres de la mara. 

“Je ne fais confiance à personne, encore moins aux putes” proclame ce membre du Barrio 18 à travers ses tatouages. Photo de “Gatito504 honduritas” (pseudonyme de l’auteur), le 31 Mars 2006, sous licence CC-BY-SA-4.0
« Je ne fais confiance à personne, encore moins aux putes » proclame ce membre du Barrio 18 à travers ses tatouages. Photo de “Gatito504 honduritas (pseudonyme de l’auteur), le 31 mars 2006, sous licence CC-BY-SA-4.0.

Femmes et maras : un paradoxe?

Malgré tout, les femmes représentent près de 20% des membres des maras et leur participation continuerait d’augmenter. Rejoindre une mara expose pourtant les femmes à une violence extrême et à la domination de leurs camarades masculins, notamment à travers le contrôle de leur corps. Celui-ci est par exemple utilisé pour le plaisir ou pour le transport de drogue et d’armes. Le corps féminin est ainsi le territoire dans lequel s’inscrit le patriarcat des maras. 

Les maras reflètent les mécanismes sexistes qui existent au sein des sociétés qu’elles habitent : les femmes y exercent moins d’influence que les hommes et sont en charge des tâches les moins valorisées, incluant les tâches ménagères. La faiblesse et l’innocence associées à leur genre sont également utilisées comme stratégie pour tromper l’attention de la police. Violences, soumission, tâches ingrates et ménagères : dans un tel contexte, comment expliquer la participation des femmes aux maras? 

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce qui semble de prime abord être un paradoxe. Tout d’abord, certaines femmes cherchent à échapper à la pauvreté ou à une situation familiale compliquée. En effet, les mareras proviennent souvent de familles décomposées, éclatées ou défaillantes. Les maras se présentent ainsi comme une nouvelle famille pour ces femmes qui ont été violentées dans leur propre cercle familial et reproduisent des liens fraternels perdus. Ainsi, le gang est au cœur de leur identité qui est affirmée à tout moment, notamment face à la mort. Les funérailles sont en effet souvent accompagnées de chants ou de prières revendiquant la place du défunt au sein de la mara. Ainsi, l’appartenance à ces gangs n’est pas remise en cause, même face aux conséquences désastreuses qu’elle implique. L’identité des mareras (et mareros) se construit à travers des rituels ancrés dans l’hyper-violence, qui soudent les membres en une famille meurtrie et vengeresse. 

Puis, venant de sociétés déjà machistes et violentes, dans lesquelles plusieurs enfants et adolescents sont abusés par leurs frères et parents, ces actes sont normalisés et les jeunes ne reconnaissent pas forcément qu’elles sont victimes de crimes et d’injustices. Ainsi, dans de nombreuses occasions, les femmes acceptent cette situation en raison de leur manque d’information sur leurs droits, de leur faible estime de soi et de la normalisation des violences contre les femmes qui domine dans la société.  Elles s’échappent ainsi d’une situation familiale dans laquelle elles se sentent piégées, vers une structure sociale qu’elles ont dans une certaine mesure choisie, bien que les deux intègrent des mécanismes de violence similaires.

D’ailleurs, certaines mareras déclarent qu’elles trouvent un certain réconfort dans la perpétuation des abus dont elles ont elles-mêmes été victimes. En rejoignant la mara, les femmes ne sont plus uniquement victimes, mais deviennent aussi bourreaux : ainsi, des mareras connectent d’autres filles à des réseaux de traite d’êtres humains et d’exploitation sexuelle. Ce cycle victime-agresseur a ses racines dans la normalisation de la violence pendant la jeunesse et dans le sentiment de rancœur et de vengeance développé dans un univers d’impunité. 

Enfin, il est presque impossible de sortir d’une mara, si ce n’est par la mort. Devant cette impasse, beaucoup de femmes étant entrées initialement pour des raisons pragmatiques ou de par leur relation amoureuse ne peuvent plus rejeter leur appartenance à la mara, bien qu’elles subissent des violences de genre. 

Un membre de la Mara Salvatrucha montre ses tatouages à l’intérieur de la prison Chalatenango au Salvador. Photo de Moises Saman sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

Maras et société : un machisme structurel 

La violence, pauvreté et discrimination structurelles poussent ainsi beaucoup de jeunes femmes à intégrer les maras. Celles-ci reproduisent et intensifient le sexisme et le machisme déjà présents dans la société. Il existe alors une normalisation des pratiques de violences contre les femmes de la part de membres des maras, telles que le féminicide, la violence sexuelle et la violence conjugale. Ces normes déteignent à leur tour sur la communauté par la régulation de zones urbaines opérées par les maras, construisant ainsi un cercle d’influences réciproques qui s’auto-perpétue. Le machisme ultraviolent des maras et celui présent au sein de la société se renforcent donc mutuellement.

Les maras étant fondées sur l’exacerbation d’une violence genrée déjà présente dans la société, il est nécessaire de prendre en compte ces structures machistes sociétales dans la recherche d’une solution à long terme. Certaines initiatives ont déjà été adoptées pour lutter contre cette violence de genre. Les lois sur les féminicides ou les programmes d’émancipation économique laissent ainsi espérer un futur plus juste et plus respectueux pour les femmes en Amérique centrale. 

Édité par Maria-Laura Chobadindegui.

Le documentaire La Vida Loca de Christian Poveda est disponible sur Youtube

Image de couverture :  Illustration de l’auteur.