Les Nouvelles Routes de la Soie en Afrique: Partenariat Mutuel ou Nouveau Colonialisme ?

Deux mille ans avant notre ère, les Routes de la Soie, un projet d’expansion Chinois, ont été le réseaux de l’interaction humaine, établissant ainsi des liens entre l’Orient et l’Occident. Ces anciennes routes commerciales ont été le théâtre de l’échange de biens, d’idées et de cultures, façonnant le destin de civilisations entières.

Au XVe siècle, ces routes ont été progressivement abandonnées. Aujourd’hui, l’histoire se répète. La Chine, puissance émergente du monde, a donné un nouveau souffle à la légendaire Route de la Soie sous une forme contemporaine : l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie, également connue sous le nom de Belt and Road Initiative (BRI). Cette initiative, lancée en 2013, a pour objectif de révolutionner le commerce mondial en créant un réseau interconnecté d’infrastructures, de transport et de développement économique qui relie la Chine à l’Afrique, à l’Europe, à l’Asie centrale et bien au-delà, et visant à stimuler le commerce, les investissements et le développement économique dans les pays participants.

Le nouveau souffle de la Chine en Afrique 

Le continent africain, riche de sa diversité culturelle et de ses ressources naturelles, se trouve véritablement  au carrefour des échanges, alors que les Routes de la Soie, anciennes et modernes, se croisent sur son sol. En effet, le rôle de la Chine en Afrique est devenu incontestablement central dans les dynamiques économiques, politiques et sociales de la région. Le président chinois, Xi Jinping, a affirmé et valorisé à plusieurs reprises le lien fort entre son pays et le continent. « Depuis des décennies, la Chine et l’Afrique se traitent mutuellement avec sincérité et amitié », affirme-t-il dans la tribune signée par ce dernier dans le journal rwandais The New Times. Par ailleurs, depuis la guerre froide, les transactions commerciales se sont multipliées entre la Chine et l’Afrique. En 2022, le commerce bilatéral entre la Chine et l’Afrique a atteint 282 milliards de dollars.

La question fondamentale est de savoir si la relation entre la Chine et l’Afrique est mutuellement avantageuse. Existe-t-il un déséquilibre de pouvoir dans cette relation ? Et, sans l’implication chinoise, l’Afrique serait-elle mieux lotie ?

Une relation mutuellement bénéfique ? 

Jusqu’à lors, cette situation s’est révélée bénéfique pour les deux parties. Toutes deux semblent reconnaître leur partenariat comme un échange équitable où personne n’est laissé pour compte. D’une part, pour l’Afrique, l’argent chinois est une opportunité de répondre à ses besoins substantiels en infrastructures, ce qui est crucial pour le développement du continent. De fait, les dépenses de la Chine sont reçues avec enthousiasme en Afrique. D’autre part, pour la Chine, chaque investissement représente des intérêts grandissants, aussi bien monétaires que stratégiques. C’est peut-être cette réciprocité qui est au cœur de leur relation.

En regardant l’Afrique, nous comprenons le caractère essentiel des prêts chinois. Contrairement à la Banque mondiale, la Chine ne se soucie guère de la solvabilité du pays emprunteur. Alors que l’argent en Afrique manque de plus en plus, les autres pays et organisations internationales de prêts refusent souvent d’accorder des prêts par crainte de ne jamais être payés. Selon l’économiste Axel Dreher, la Chine apparaît donc comme le « prêteur de premier recours » d’un continent qui n’a d’ambition que sa croissance économique.

Or, une question demeure : pourquoi la Chine accepte-t-elle de prendre ce risque ? Premièrement, la Chine bénéficie financièrement de cette relation, en capitalisant sur les opportunités économiques que l’Afrique offre. Deuxièmement, cet avantage financier s’imbrique avec un avantage stratégique, où les investissements et les relations économiques facilitent une influence et une présence géopolitique plus profondes en Afrique. 

Un avantage financier …

À cet égard, pour sécuriser ses investissements, la Chine impose aux emprunteurs de signer des « clauses de sécurité » qui garantissent un accord en cas de défaillance. De manière générale, les clauses sécuritaires des investissements chinois sont d’ordre stratégique: plutôt que de rembourser leur prêt en espèces, les débiteurs se voient dans l’obligation de le rembourser en matières premières ou en infrastructures.

À titre d’exemple, le Sri Lanka a reçu 1,5 milliard de dollars de la Chine en 2015 pour financer la construction et le développement du port de Hambantota dans le cadre de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Seulement, le Sri Lanka s’est noyé dans les dettes et ne pouvait plus rembourser. Par conséquent, en 2017, Pékin a proposé de prendre le contrôle du port, et ce pendant une période de 99 ans. L’investissement financier de la Chine au Sri Lanka a de fait été bénéfique, permettant une emprise supplémentaire sur l’une des voies de navigation les plus dynamiques du monde.

Une des places à Hambantota avec ses pêcheurs
Le port de Hambantota avec ses pêcheurs. Image sous licence CC BY-SA 4.O DEED

… Qui se conjugue à un atout stratégique

Or, cet avantage financier est étroitement lié à un avantage stratégique. L’aspect stratégique des investissements chinois en Afrique est profondément enraciné dans une vision géopolitique à long terme. En investissant massivement dans des infrastructures clés telles que les ports, les routes et les chemins de fer, la Chine ne se positionne pas seulement comme un partenaire économique majeur, mais aussi comme un acteur influent dans les affaires internes et régionales de l’Afrique. Ces infrastructures, tout en facilitant le commerce et les investissements, servent également de leviers stratégiques que Pékin peut utiliser pour sécuriser et promouvoir ses intérêts géopolitiques. 

L’approche stratégique de la Chine en matière d’investissement peut se manifester par l’exemple du port de Djibouti. Djibouti est stratégiquement positionné au carrefour de certaines des routes maritimes les plus fréquentées du monde, ce qui le rend crucial pour le commerce international. De fait, la Chine a investi massivement dans la construction d’un port et d’une base militaire dans la capitale. L’investissement chinois à Djibouti ne vise pas seulement à bénéficier d’avantages financiers mais aussi à établir une présence stratégique et durable dans la région. Contrôler le port de Djibouti permet à la Chine d’avoir un accès plus direct au commerce dans la région de la mer Rouge et de l’océan Indien, ainsi qu’une présence renforcée en Afrique de l’Est.

Cette dynamique complexe entre la Chine, l’Occident et l’Afrique se joue sur fond de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie de la Chine (ou BRI). La présence chinois en Afrique met alors en lumière les implications géopolitiques importantes de la BRI ainsi que la bataille d’influence menée par la Chine et l’Occident.

Proposition des Nouvelles Routes de la Soie (BRI) indiquées en noire (Route Terrestre) et en bleue (Route Maritime). Carte de Lommes sous licence CC BY-SA 4.O DEED

Bataille géopolitique : la Chine et l’Occident en compétition

En effet, cette situation inquiète les pays occidentaux, qui considèrent la relation Sino-Africaine comme asymétrique et stratégique pour la Chine. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que l’UE souhaitait établir « des liens, pas des dépendances », contrastant ainsi avec la politique de la Chine. En conséquence, Pékin est accusé par les pays occidentaux de pratiquer une « diplomatie du piège de la dette » à l’égard de l’Afrique. L’Afrique aspire à un meilleur avenir économique tout en se noyant dans d’énormes dettes qu’elle pourrait ne pas être en mesure de rembourser. Les difficultés économiques du continent permettent alors à la Chine de contrôler pleinement les rouages de l’économie africaine. L’effet de levier de ces investissements sont alors souvent qualifiés de nouvelle forme de colonialisme.

En d’autres termes, la narrative chinoise qui tente de présenter les relations sino-africaines comme une situation équitablement profitable, où la Chine importe les ressources naturelles tandis que les nations africaines développent leurs infrastructures, est remise en question par les pays occidentaux. Au contraire, ils suggèrent que cette coopération bilatérale profite de manière disproportionnée à la Chine. Au-delà des considérations économiques, les occidentaux remettent en cause les investissements Chinois à cause de leur caractère hautement stratégique pour la puissance d’Asie de l’Est. Ainsi, cette dernière se matérialise comme un État impérialiste cherchant à s’assurer des matières premières pour ses industries.

On suppose que la Chine tente d’imposer des dettes aux nations pour accroître son influence stratégique dans la région. Néanmoins, la représentation menée par les pays occidentaux peut être trompeuse, attribuant à Pékin plus d’intentions qu’il n’en faudrait. Les investissements chinois sont accueillis positivement dans le continent, en partie parce qu’ils renforcent la légitimité de ces injections de capitaux. De fait, le gouvernement Chinois participe au développement du continent africain. A titre d’exemple, le partenariat de la Chine avec le Maroc, premier pays du Maghreb à rejoindre la BRI en novembre 2017, est perçu par le ministre délégué marocain chargé de l’Investissement comme un moyen de « renforcer les économies par le commerce et l’investissement ». En effet, les financements chinois servent à la réalisation de projets majeurs pour le Maroc, tandis que le commerce entre les deux parties sert à leurs croissances économiques.

Une coopération sous le microscope: avantages et défis 

Il faut donc nuancer la tendance qui consiste à voir le commerce sino-africain comme faisant partie d’un rapport de force. Cependant, si la situation semble moins exacerbée que ce que l’Occident prétend, on ne peut nier que la Chine est indubitablement intéressée. Bien que les investissements contribuent à la croissance économique de l’Afrique, ils plongent le continent dans une crise de la dette sans précédent. La Chine continue néanmoins de bénéficier des ressources du continent, précieuses pour son économie et l’importance hautement stratégique des routes de la soie, apportant au pays une influence mondiale.

La tentation est grande de présenter les choses de manière manichéenne. Pourtant, déterminer si cette coopération conduit à une situation bénéfique pour les deux parties ou à une situation asymétrique est plus complexe. Bien que l’Afrique bénéficie effectivement de cette coopération, il est difficile de penser que l’impact positif des investissements chinois est équitablement réparti.

Ces circonstances mettent également en évidence la bataille de communication et d’influence entre l’Occident et la Chine pour l’Afrique, dans un contexte où l’Afrique émerge en tant que continent stratégique en pleine expansion. Les dirigeants africains, conscients de l’évolution de leur continent et de son importance croissante, aspirent à un changement de dynamique dans leurs relations internationales, où l’Afrique ne sera plus méprisée.

En couverture: Route de la soie. Image de Hotel Kaesong sous licence CC BY-SA 2.0 DEED.

Édité par Adèle Bard.