L’itinérance au Québec : un enjeu négligé en temps de pandémie

En janvier 2020, trois mois avant la pandémie de la COVID-19, une crise du logement a frappé le Québec, augmentant drastiquement le nombre de sans-abris. L’absence d’intervention de la part du gouvernement provincial de la Coalition Avenir Québec (CAQ) a laissé la main libre aux autorités locales qui ont eu du mal à accommoder cette communauté grandissante, faisant ressurgir les tensions entre les brigades policières et les sans-abris dans l’espace public, suite au démantèlement du camp de Notre-Dame à Montréal notamment. Ces actions coercitives et inefficaces démontrent un manque de coordination pour et par les services qui interviennent auprès des itinérants. 

En plein milieu d’une pandémie, les ressources communautaires habituelles qui s’offrent aux sans-abris se raréfient. De plus, en passant de 3 000 à 6 000 personnes, le nombre d’itinérants a doublé dans la ville de Montréal depuis que la crise a commencé en mars et l’accès aux refuges se voit donc davantage restreint. Même si une proportion importante des personnes en situation d’itinérance à Montréal demeure des personnes issues des communautés autochtones et immigrantes, la récente crise du logement a causé un changement de démographie parmi cette communauté. Dorénavant, plusieurs sont en situation d’itinérance épisodique, c’est-à-dire temporaire, après avoir perdu leur emploi ou après avoir vu le loyer de leur logement augmenter à un point où ils ne peuvent plus se le permettre. Une réalité similaire se poursuit également à Québec avec la maison Lauberivière, un refuge multiservice, qui se voit débordée en raison du manque de lits nécessaires pour accommoder l’afflux de personnes en itinérance épisodique. Par conséquent, la situation des itinérants se détériore alors que des campements illégaux prolifèrent et se retrouvent éparpillés dans les villes de Montréal et de Québec, ce qui peut entraîner des conséquences désastreuses. Effectivement, cela va sans dire qu’un logement est non seulement nécessaire pour se protéger du froid hivernal, mais aussi pour se mettre en quarantaine et ainsi diminuer le risque de propagation du virus. 

Malgré la vulnérabilité des personnes en situation d’itinérance, l’urgence de la situation peine à être adressée et continue d’être négligée par le gouvernement québécois à travers les mesures prises pour lutter contre la propagation de la COVID-19 qui excluent directement le bien-être des sans-abris. Cela se fait notamment par la fermeture des commerces qui donnaient accès à des salles de bains, par les restrictions dans les lieux publics telles que le port du masque obligatoire ou encore par les heures raccourcies des Tim Hortons, qui restaient auparavant ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qui empêchent la communauté de sans-abris de soulager leur soif et de se protéger du froid. De plus, le couvre-feu mis en place dans les zones rouges, de 20 heures à 5 heures, du mois de janvier à février 2021, ne fait qu’empirer la situation. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a essayé à maintes reprises de demander l’aide financière des gouvernements provincial et fédéral à ce sujet, mais ses appels à l’aide sont demeurés sans réponse. Ainsi, les efforts de Plante se résignent à des solutions à court terme, telles que la  mise en place de neuf haltes-chaleur à travers la ville, et l’ouverture d’un nouveau refuge à l’Hôtel Place Dupuis, qui gardera ses portes ouvertes jusqu’au printemps 2021. Un cri du cœur similaire venant du maire de Québec, Régis Labeaume, s’est fait entendre l’an dernier, témoignant de l’urgence de la question qui ne date pourtant pas d’aujourd’hui. 

Les conséquences de l’inaction du gouvernement 

Le manque de ressources adéquates allouées à l’accommodation de l’afflux de sans-abris au cours de l’année 2020 a non seulement pour conséquence directe une plus grande implication de la police dans la régulation et le contrôle des itinérants, mais a aussi transféré le fardeau de la protection des individus aux citoyens bénévoles. Puisqu’il n’y a aucune provision provinciale s’adressant à la communauté en situation d’itinérance, il revient trop souvant à la police la charge d’intervenir auprès des sans-abris et ce, malgré leur manque de formation. Les tensions entre la communauté de sans-abris et la police se sont faites remarquer d’une part par les contraventions onéreuses distribuées et d’autre part par l’utilisation de tactiques intimidantes pour démanteler un campement improvisé à Montréal. En effet, de multiples contraventions pouvant aller jusqu’à 1500$ pour un manque de distanciation sociale ont été distribuées par la brigade policière depuis mars dernier à travers la province. Les tensions se sont également accrues suite au démantèlement du campement de la rue Notre-Dame suite à trois incidents d’incendie parmi le campement déclenchés par des feux improvisés. La sécurité des personnes vivant dans ce campement étant primordiale, six organismes communautaires avaient manifesté leur désaccord face au démantèlement, demandant plutôt un investissement dans le camp de la part de la ville afin d’offrir des installations plus isolantes du froid pour que les sans-abris puissent se sentir plus en sécurité au sein de la communauté qu’ils ont eux-mêmes créée. La manifestation a été reçue par les policiers présents en escouade anti-émeute avec du gaz à poivre. Le manque de collaboration entre la police et les organismes communautaires est une faille importante dans le système de protection du citoyen, et il démontre que la police n’est pas adéquatement formée pour gérer toutes les situations auxquelles elle doit faire face, surtout suite à cette approche intimidante envers leur manifestation.

Image de la manifestation à Place-des-Arts, Montréal, dénonçant les tactiques de la police auprès du camp de Notre-Dame et demandant un désinvestissement du service de la police. Cette demande ressurgit dans le milieu public suite au mouvement Black Lives Matter de l’été dernier qui a mis de la pression pour une ré-allocation des fonds budgétaires envers des services communautaires au lieu du service de la police. Image prise du compte Twitter @defundtheSPVM, publiée le 9 décembre 2020.

En outre, le manque d’implication du gouvernement provincial a également alourdi le fardeau de la communauté citoyenne qui est maintenant en charge de la protection et de la sécurité des plus démunis. Certes, le gouvernement Legault a intégré le financement de nouveaux logements sociaux dans le plan budgétaire provincial de l’année 2021, mais la majorité des fonds ne sera même pas accessible à ceux sans logement, malgré l’urgence de la situation. C’est pourquoi l’engagement citoyen, se matérialisant sous la forme de bénévoles et de collectes de denrées qui servant à soulager la communauté et leur accorder un minimum de dignité, ne devrait pas être la source principale de support pour la communauté massive de sans-abris dans la province de Québec. C’est avant tout la responsabilité du gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques de la communauté de sans-abris. Finalement, il est important de reconnaître que les organismes, généralement composés de bénévoles qui luttent contre l’itinérance chronique et épisodique, ont appris à connaître cette communauté et leurs besoins; ceux-ci devraient donc être consultés dans la recherche de solutions en collaboration avec l’administration Legault. 

Quelles sont les solutions?

Des solutions existent pour venir en aide à ceux qui se retrouvent sans logis, que ce soit chronique ou épisodique, et celles-ci ne se trouvent pas dans une augmentation du budget service de police. Sur le court terme, il est important d’apporter un soutien immédiat à la communauté en considérant des facteurs individuels tels que la santé mentale ou des problèmes d’addiction. Sur le long terme en revanche, il est nécessaire de pouvoir offrir des logements abordables et durables. En effet, le projet Chez soi mis en place par la commission de santé mentale du Canada en 2008 est intervenu auprès de la communauté de sans-abris et a démontré que la majorité de ceux-ci souffre de troubles de santé mentale, et que l’aide psychologique est cruciale et complémentaire à l’obtention d’un logement pour une réintégration durable dans la société. De plus, des mesures pour remédier au problème de dépendance retrouvée chez les personnes en situation d’itinérance ont été installées en Colombie-Britannique. Des cliniques spécialisées offrent de l’héroïne gratuite permettant aux infirmières de s’assurer que les patients utilisent des aiguilles propres, tout en offrant un support si un patient désire aller en cure de désintoxication.   

Pour finir, un cadre de référence, c’est-à-dire une liste qui cible les besoins de ceux en situation d’itinérance propre à la ville en question, pourrait être une solution à long terme, tel que celui démarré à Gatineau en novembre 2020. La ville de Gatineau s’était retrouvée elle aussi avec des campements improvisés à travers la ville, et a mis en place un plan d’action pour remédier à cette situation. Le maire Maxime Pedneaud-Jobin a non seulement mis l’accent sur le besoin de logement mais également sur l’importance des interventions adaptées à la réalité en collaboration avec les organismes communautaires. Encore une fois, ces solutions restent entre les mains du gouvernement provincial, qui contrôle les fonds monétaires nécessaires pour investir dans des solutions innovatrices venant en aide à la communauté de sans-abris.  

Ainsi, le manque de collaboration de la part du gouvernement provincial avec les organismes communautaires fait en sorte que les solutions mises en place pour remédier à la crise du logement sont uniquement adaptées à la classe populaire, excluant les sans-abris, qui continuent d’être contrôlés par la police qui n’est pas formée pour venir en aide à cette communauté. Les autorités locales ont s’adapter du mieux qu’elles pouvaient avec le peu de ressources qu’elles avaient, mais il reste une demande grandissante de solutions à long terme. Dorénavant, un investissement dans la communauté et une ré-allocation des fonds monétaires vers des services communautaires qui travaillent déjà avec la communauté de personnes en situation d’itinérance serait idéal pour assurer une résolution à long terme.

Photo de couverture: Cette bannière « refuge assuré, approvisionnement assuré, ils en parlent; [mais] nous mourons. » fait allusion au manque de rétroaction de la part des politiciens, notamment les ressources disponibles pour les personnes dans la rue en ce qui concerne à la fois les refuges et la toxicomanie. Image prise dans l’arrondissement Ville-Marie à Montréal, par Ana Maria Dumitrache.

Édité par Apolline Bousquet