Match nul au Congrès Américain

A l’issue des élections de mi-mandat aux États-Unis le 6 novembre 2018, l’échiquier politique a pris une nouvelle tournure, laissant chaque parti partiellement satisfait déçu. Si la Chambre est redevenue démocrate, le Sénat, l’autre entité du Congrès, a en revanche renforcé sa majorité. Dans l’ensemble, le Congrès est cependant redevenu en majorité démocrate, alors qu’il était sous le contrôle du parti du président depuis le début.

Même si le Président Donald Trump parlait d’une victoire, le parti démocrate a toutefois réussi à récupérer la majorité en reprenant le contrôle de l’une des deux chambres du Congrès, la Chambre des représentants, pour la première fois depuis 2010. En effet, la perte du contrôle du Congrès, qui permet au président républicain de mettre en place une multitude de mesures depuis le début de son mandat, est loin d’être une victoire. La Chambre des représentants est actuellement constituée de 234 sièges démocrates, contre 200 sièges républicains, soit respectivement un gain et une perte de 39 sièges pour chaque parti.

Du côté du Sénat, dont seulement le tiers des sièges était renouvelé avec ces élections, les républicains ont parvenu à récupérer des sièges démocrates dans les États suivants:  l’Indiana, le Missouri, la Floride, et le Dakota du Nord. Les démocrates ont de leur côté récupéré deux nouveaux sièges, en Arizona et au Nevada. Au total, les démocrates perdent deux places, et les républicains en gagnent deux, ce qui ramène à un ratio de 47 sièges démocrates et 53 républicains au sein du Sénat.

Aux États-Unis, le Congrès est l’organe de la branche législative. Il est composé de deux chambres: la Chambre des représentants, et le Sénat. De fait, il a un impact conséquent sur les politiques intérieures et extérieures du pays, expliquant le rôle que joue la majorité politique. Il gère le budget, les déclarations de guerre, ainsi que le commerce, les forces de l’armée, et l’immigration. Il permet, dans certaines périodes de crise, au président de prendre des décisions importantes liées au budget et à la sécurité nationale, tant qu’elles respectent  la constitution et qu’il n’y a pas d’abus de pouvoir. Néanmoins, le Congrès demeure le principal responsable dans la prise de décision des mesures du pays.

Les lois et mesures nationales passent par la Chambre des représentants et sont finalisées au Sénat. Le Sénat est en charge de voter les lois, de ratifier les traités et accords commerciaux, ainsi que de valider les nominations proposées par le président pour les hauts fonctionnaires du gouvernement, comme à la Cour Suprême, ou encore des mesures de mise en accusation.

Les deux chambres du Congrès ne peuvent agir l’une sans l’autre et peuvent donc s’empêcher d’agir mutuellement. Dans le cas présent, les démocrates ont donc le pouvoir de bloquer les législations républicaines dans la Chambre pour qu’elles n’atteignent pas le Sénat, mais ont peu de chance de parvenir à faire passer leurs propres législations au-delà de cette même chambre face au mur républicain renforcé dans la deuxième. En d’autres termes, le Congrès est bloqué, ce qui représente une victoire, bien que partielle, pour les démocrates, qui cherchent désespérément à limiter la frénésie des mesures du président.

Outre ce blocus démocrate au sein du Congrès, on peut s’attendre à des tensions entre le Capitole, maison mère du Congrès, et la Maison Blanche – en d’autres termes, un conflit entre le législatif et l’exécutif. En effet, le président détient toujours le pouvoir des décrets présidentiels, qui lui permettent, dans une certaine mesure, de contourner le processus législatif classique et d’accélérer la mise en place de certaines mesures. Trump a déjà employé, comme de nombreux autres présidents avant lui, cette mesure à plusieurs reprises. L’usage de ces décrets fait presque office de tradition présidentielle, puisque chaque président en a utilisé en grand nombre, et ce depuis la présidence de Georges Washington. Bien que cette division se manifeste avec plus de magnitude sous le mandat de Trump, elle n’est pas non plus une nouveauté, puisque les cohabitations entre partis sont un schéma régulier de l’organisation politique américaine. Le précédent président, Barack Obama, a d’ailleurs fait face à un Congrès républicain durant ses deux mandats.

Les décrets présidentiels, s’ils sont moins astreignants qu’une loi, servent tout de même à contourner les limitations du Congrès dans une certaine mesure. Ils permettent de diriger les mesures exécutives à l’intérieure d’une loi déjà existante, vers une certaine direction. Dans le cas du très controversé décret présidentiel sur l’immigration de Trump, qui visait à interdire l’entrée, il s’inscrivait dans la section 1182 du titre 8 du Code des Etats-Unis, qui indique que des étrangers peuvent être refusés d’entrée sur le territoire s’ils représentent un danger pour la population. Ce décret n’a pas pris effet, suite à une réaction de la branche judiciaire, qui le jugeait contraire à la constitution. Néanmoins, il est tout à fait possible pour un président de mettre en place certaines régulations en contournant le processus législatif classique à travers le Congrès. Ainsi, ils peuvent agir sans le consentement directe du Congrès. Ces décrets ont tout de même une limite: ils s’annulent lorsqu’ils ne sont pas transformés en véritable loi avant la fin du mandat du président qui les a appliqués.

L’une des chose sur lesquelles les démocrates avaient grand espoir de poser leur veto est la politique extérieure. Le président a pris de très nombreuses mesures unilatérales depuis le début de son mandat, en sortant de précieux accords ratifiés sous Obama notamment, tel que l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et les accords de Paris pour l’environnement. Il a également remanié les relations commerciales avec de nombreux pays, en renégociant l’ALENA suite à plusieurs menaces commerciales envers le Canada et le Mexique ou encore en imposant divers tarifs à l’international. Plus récemment, il a aussi lancé une guerre commerciale avec la Chine. Enfin, il a fait trembler une grande partie de sa population quand il a eu de virulents échanges avec le chef de la Corée du Nord, impliquant des menaces nucléaires et militaires des deux côtés.

Certains pensent ainsi que les démocrates peuvent essayer de reprendre le contrôle sur la politique extérieure, notamment à travers l’usage de la presse, en attirant l’attention des médias encore plus fortement que ce n’est dors et déjà le cas. En effet, les démocrates de la Chambre vont pouvoir d’une part bloquer toute mesure de politique extérieure qui implique la mise en place d’une loi ou une nouvelle allocation du budget, mais également mettre en place des audiences télévisées qui ravivent les débats et les étendent au public. Finalement, il est question de faire diversion, ou de faire blocus, étant dans l’incapacité de faire plus.

Le président a également proposé aux démocrates de coopérer, à une condition: que le parti opposé abandonne l’investigation sur la potentielle ingérence russe durant les élections de 2016. Compte tenu de la valeur que portent les démocrates à l’éventualité d’un “impeachment” du président, il est peu probable que cette collaboration se mette en place prochainement. Au contraire, c’est plutôt une stagnation politique, d’un point de vue plus global, qui semble être la perspective de ces deux prochaines années.

Ces élections servent aussi de sondage et de bilan sur la première moitié du mandat de Donald Trump. Une fracture se manifeste au sein du peuple américain depuis l’élection du Président républicain en décembre 2016. Les résultats des élections de mi-mandat sont une parfaite illustration de ce clivage grandissant: si les démocrates ont récupéré la majorité au Congrès, ils espéraient générer une vague beaucoup plus importante de protestation et d’opposition à la politique du président actuel, qui est toujours soutenu par une portion solide de la population, comme en témoigne sa majorité au Sénat. Le peuple est donc tout aussi divisé qu’après les élections. Trump a bel et bien un électorat solide qui soutient ses politiques et ses promesses de campagne, tout en étant l’un des président les plus contestés et controversés de l’histoire des Etats-Unis.

La perte de la majorité du Sénat aura sans aucun doute un effet conséquent sur la liberté et dynamique politiques de Trump. Par ailleurs, avec un président républicain aussi controversé, du point de vue des démocrates, les alliances entre les deux partis apparaissent largement compromises. C’est donc surtout une politique de stagnation qui se dessine pour la fin du mandat présidentiel. Cette course n’a fait aucun véritable vainqueur: chacun se voit partiellement satisfait, mais les élections renforcent la mise en place de politiques limitées, dans un sens comme dans l’autre.

Edited by Salomé Moatti