Medellín rayonne d’espoir : le cas de la Comuna 13

En se promenant dans les rues du Poblado, quartier huppé de Medellín où se croisent touristes branchés et hommes d’affaire cravatés, on croirait davantage baigner dans le chic tranquille que dans l’ancienne ville la plus dangereuse au monde. Tout le monde  garde en tête l’histoire des narcos. Medellín ville-cartel, ville de meurtres, de règlements de comptes, d’attentats, de terreur. Medellín ville d’Escobar. Mais l’histoire ne s’arrête pas là et apparaît souvent pleine de lacunes, ne laissant pas forcément transparaître la multiplicité des enjeux antérieurs ou présents.

Retour en arrière dans les années noires qui assombrirent la ville entre 1980 et 1995. Cette période d’intense violence fut le résultat d’un conflit extrêmement complexe et loin d’être abouti. Le conflit colombien était composé de quatre principaux acteurs, divisés en sous-catégories: les forces armées d’extrême droite (avec par exemple les paramilitaires), d’extrême gauche (tels les membres des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia: les FARC), les narcotrafiquants, et le gouvernement. Seulement, alors que le gouvernement tentait de détruire les ressources et le marché des narcotrafiquants, ces derniers se défendaient grâce à l’argent provenant des cocaïnomanes majoritairement américains ou européens, en finançant l’armement des groupes paramilitaires des deux extrêmes. Non seulement cela accroissait la lutte entre les deux partis, mais les attaques contre les autorités gouvernementales et les pertes humaines se multipliaient à une vitesse folle. La police nationale tombait également dans la corruption, leur silence acheté par cet argent sali. Ainsi, chaque gramme de poudre blanche achetée à l’étranger menait directement au financement des vagues meurtrières du pays. Ainsi, plus qu’un conflit interne, il prit une dimension supranationale, une situation indémêlable qui prit quelques décennies avant d’être le moindrement maîtrisée.

Botero, sculpteur colombien, a demandé à ce que la ville conserve une de ses œuvres détruite par une grenade au centre de la ville, représentation de la violence, à côté d’un oiseau qu’il a reproduit peu après, symbole de la renaissance et résistance de Medellín (photo personnelle)

Le cartel démantelé et le fameux leader abattu par les forces de l’ordre, Medellín prend un nouveau visage, celui de l’espoir. Un quartier qui illustre particulièrement cette lutte acharnée visant à sortir de la corruption qui découle de ces trafics du marché noir: la Comuna 13. Cet endroit reculé du centre de la ville a longtemps été le QG des plus grands gangs mafieux du pays. Les homicides étaient quotidiens, les règlements de compte habituels. Récemment, les populations plus pauvres qui habitent ce quartier aux allures de favela ont été les malheureuses victimes de cette terrible violence. Le 16 octobre 2002, le président en exercice, Uribe, lance l’Opération Orion: des hélicoptères assaillent le quartier et plus de 1000 soldats de l’armée, alliés aux groupes paramilitaires de droite dont Uribe faisait partie, envahissent les rues du quartier San Javier. Leur but est alors d’éradiquer totalement la présence des guérilleros, ces membres des forces armées de gauche FARC et de l’Ejército de Liberación Nacional (ELN), reconnus comme ceux engendrant cette violence chaotique. Seulement, c’est un véritable massacre qui a lieu. En 3 jours, un bilan de 87 morts, 18 blessés, 350 détenus, mais aussi 95 portés disparus. De plus, les « falsos positivos » se font fréquents: ceux qui tombent sous les balles des assaillants sans appartenir au clan visé sont déshabillés puis revêtus de vêtements et accessoires appartenant aux guérilleros pour être pris en photo, preuve irréfutable du succès illusoire des opérations.

Cette intervention constitue la pointe du iceberg d’une violence qui persiste et reste très présente. Après plusieurs attaques et maintes tentatives de « paix » grâce à des pactes entre chefs mafieux, cette zone semble peu à peu se libérer de l’emprise des narcotrafiquants, même si ce calme apparent vendu aux touristes est trompeur, puisque dans l’ombre subsistent encore des réseaux illégaux qui restent les régulateurs des activités du quartier. Toutefois, la Comuna 13 émerge doucement sous un nouveau visage, esquissé par l’art, habité par une joie de vivre affichée qui cherche à dissimuler les cicatrices d’un passé agité. En effet, les habitants ont combiné douleur, culture, et devoir de mémoire en tags muraux colorés, véritables œuvres d’art splendides et symboliques qui habillent les maisons de la cité. Le hip-hop, breakdance, et improvisation de rap font également partie de la vie quotidienne des nombreux jeunes qui y grandissent. En 2012, le maire fait construire des escalators qui traversent le secteur dans le but d’interconnecter ce quartier échafaudé tout en renforçant la sécurité. Ceci contribue également au développement de la Comuna dans le domaine qui prend de plus en plus d’importance dans l’économie colombienne: le tourisme.

Passage de la C13, aujourd’hui emprunté par de nombreux touristes la journée (photo personnelle)

Après le dur règne des exploiteurs de la coca – plante à partir de laquelle on obtient la cocaïne, qui ne pousse qu’en Colombie, au Pérou et en Bolivie -, les Colombiens se sont alors tournés vers le tourisme, en commençant par une phase de changement et de revitalisation de l’image de ce pays qui paraît si dangereux pour les touristes. S’accrochant à cette branche qui les hisse au-dessus de leur passé sanglant, certains habitants de la Comuna 13 proposent aux touristes un tour des principaux tags du quartier, accompagné de leurs explications et d’un récit de leur histoire jusqu’à l’opération Orion. Ils insistent sur le changement radical de fréquentation, invitent les étrangers à admirer les talents de l’impressionnante bande de breakdancers Black and White, à prendre une limonade au café (une spécialité) en applaudissant un jeune rappeur qui fait une démonstration.

Cependant, il est certain que cette page du passé n’est pas tout à fait tournée. On se rend bien vite compte en suivant les nouvelles locales que la corruption, la fraude, et la violence ne s’effacent pas en un coup d’éponge. L’influence des réseaux mafieux persiste, la grande majorité des commerçants leur versent encore une commission pour sécuriser leur activité, et les règlements de compte existent, avec des locaux disparaissant sans aucune explication ou finissant tristement victimes d’une balle « perdue ». Bien qu’il ne faille pas oublier, ni cesser de combattre les torts qui subsistent, il est essentiel de noter également le degré de transformation en si peu d’années. Depuis les hauteurs de la Comuna 13, les guides désignent la roche blanchâtre étalée sur un versant de la colline verdoyante qui domine la vue. Cette zone, La Escombrera, est en réalité un cimetière de corps non répertoriés, cachés, une fosse dans laquelle, dans les années 80-90, on a enfoui des centaines de victimes. Cela fait froid dans le dos, mais les guides soulignent l’importance du devoir de mémoire et de transmission de l’histoire dans sa totalité, le bon comme le mauvais côté. La terreur n’est pas oubliée, elle est surmontée. Le souvenir des événements passés est tout aussi important que l’avenir plein d’espoir qui se crée. Une figure qui réapparaît sur les murs de la Comuna 13 est justement celle de l’éléphant, celui qui par sa grande mémoire retient tout, mais qui est également le mammifère qui met le plus de l’avant la notion de  famille, se baladant toujours en groupe dans une file unie et solidaire.

Tag représentant les éléphants, à l’entrée du quartier – flickr.com

La Colombie, et notamment Medellin, a traversé des années d’une noirceur marquante, mais elle représente maintenant le phœnix qui renaît de ses cendres. Le peuple, même s’il sent que le combat n’est pas terminé, peut enfin s’autoriser à prendre une grande bouffée d’espoir. En tant que touriste, il est important de rester conscient de ce passé et de ce conflit qui continue en coulisses. Mais naît une nouvelle responsabilité, celle de communiquer la vision prometteuse, gaie, forte, que le pays nous offre. Car c’est le témoignage qui façonne l’histoire, et qui permet à un peuple de prospérer et de montrer au monde que l’on veut avancer du bon côté.

Edited by Charles Lepage