Op-Ed: “L’Académie Française N’a Pas De Résultat Pour Votre Recherche”

137. C’était, au 21 novembre, le nombre de femmes mortes sous les coups de leur conjoint depuis le 1er janvier 2019, en France. En 2018, on comptait à la fin de l’année 121 décès du même type. En d’autres termes, le nombre est en hausse. En Europe, la France seconde l’Allemagne en tant que pays le plus touché par les meurtres dans un contexte de violences conjugales. Depuis quelques mois, les démonstrations, souvent initiées par des associations, se multiplient en France afin de dénoncer ce phénomène, et de se battre pour la reconnaissance d’un mot: le ‘féminicide’. 

Un féminicide n’est pas simplement le meurtre d’une femme; il s’agit d’un homicide volontaire d’une femme en raison de sa condition de femme. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) distingue les féminicides intimes, désignant les meurtres de femmes par leur partenaire ou ex-partenaire, des crimes d’honneur, lorsqu’une femme commet une infraction à une “tradition”, telle que l’adultère ou la grossesse avant le mariage. Dans certains pays, tels que l’Inde, on retrouve aussi une catégorie spécifique de féminicide lorsque les meurtres sont liés à la dot, jugée insuffisante par la belle-famille. Enfin, l’OMS qualifie de féminicide non intime les homicides envers les femmes à caractère plus systémique et qui ne sont pas dirigés vers une femme en particulier mais vers la gent féminine dans sa globalité. La Ciudad Juarez, au Mexique, où des milliers de femmes sont assassinées régulièrement depuis une décennie, est un lieu marqué par les féminicides de ce type. On pense également à la tuerie antiféministe à l’Ecole de Polytechnique Montréal en 1989.

Si le mouvement #balancetonporc – version française de #metoo – a quelque peu mis en lumière les conditions dans lesquelles les femmes sont traitées au quotidien et dans des contextes de rapport de force, on est loin d’un changement de mentalité systémique. Les stigmas autour des femmes n’ont toujours pas disparu. Ces meurtres nous ramènent aux conditions primaires de l’Homme, à ce rapport de force qui, dans la grande majorité des cas, place l’homme en position de force vis-à-vis de la femme. 

L’une des plus grandes entraves à l’amélioration de la situation est le manque de ressources de la plupart des femmes victimes de féminicides. Souvent dans des situations précaires, nombreuses sont les victimes de violences conjugales qui ne se sentent pas prises en charge par les forces de l’ordre ou le système judiciaire, et ne voient aucun échappatoire à leur situation. Le gouvernement français a néanmoins témoigné d’un désir d’aller dans ce sens en lançant après le 101ème féminicide compté en 2019, son premier Grenelle sur les violences conjugales. L’intention est là, mais il y a du pain sur la planche. A commencer par la reconnaissance du mot dans le langage courant.

Pourtant employé avec aisance par de nombreux organismes internationaux et figurant dans plusieurs lois en Amérique Latine, le mot “féminicide” apparaît dans le Petit Robert, dictionnaire de langue française, seulement depuis 2015, tandis qu’il n’est toujours pas reconnu par l’Académie Française, véritable autorité de la langue française. Outre les débats que le mot suscite dans le langage courant, il est contesté pour son utilisation au sein du droit. Souvent camouflé sous la notion de “crime passionnel” ou de “drame conjugal”, c’est de féminicide dont il s’agit réellement. Certains considèrent que le Code Pénal contient des articles suffisamment détaillés visant à adresser les meurtres conjugaux, sans distinction de genre. L’article 221-4 du code pénal s’adresse précisément aux meurtres commis par le “conjoint ou concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. L’article 132-80 ajoute une clause pour s’adresser aux meurtres commis par l’ancien conjoint, concubin ou partenaire, “en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime”. 

D’autres s’inquiètent de son ajout au sein de la loi, jugeant que cela va à l’encontre même du principe du Droit en France, qui vise à nous rendre égaux devant la loi. Je me range de ce côté-là du débat. Le but même des combats pour améliorer les conditions des femmes, quels qu’ils soient, est de mettre tout le monde à pied d’égalité, non pas de créer des distinctions supplémentaires. Si l’on ouvre la porte à la distinction des genres dans le droit, n’est-ce pas un pas en arrière? Il y a une différence fondamentale entre le fait de reconnaître l’existence d’un phénomène systémique qui vise les femmes, et d’écrire une loi s’adressant à un seul genre. Bien que la discrimination positive puisse s’avérer nécessaire dans certains cas, j’estime qu’elle ne trouve pas sa place au sein du Droit.

Il y a un rouage dans le système, mais ce rouage semble venir de l’application des lois plutôt que des textes de lois eux-mêmes. Pour autant, il y a une différence entre son ajout au Code Pénal, et la reconnaissance du mot dans le langage courant. Le langage qui est bien souvent un point de départ des solutions humaines. C’est lui qui vient enclencher un changement de mentalité. Qui vient créer une distinction dans l’espace, et isoler un phénomène. Il paraît difficile de trouver les bonnes solutions à un problème nommé de manière inadéquate. Et si les mots ne peuvent pas régler tous les maux, ils semblent au moins pointer du doigt les pistes de solutions. Alors faisons l’effort de regarder ce que pointe du doigt le mot “féminicide”.

Edité par Salomé Moatti

 

The views and opinions expressed in this article are those of the author and do not necessarily reflect the official position of the McGill International Review or IRSAM.