Raids aériens français au Tchad: des airs de Françafrique?

En pleine avancée vers la capitale tchadienne N’Djaména, l’alliance rebelle d’UFR (Union des Forces de Résistances) composée de huit groupes rebelles opposant le régime d’Idriss Déby, a été coupée dans son élan par une série de frappes aériennes les 3, 5, et 6 février. Détruisant une cinquantaine de véhicules armés, ces frappes ne provenaient pas d’un avion tchadien, mais bel et bien d’un Mirage 2000 appartenant à l’armée française, venu à la rescousse du président africain. Les frappes françaises ont détruit une colonne rebelle que l’armée tchadienne n’était pas en mesure d’arrêter, et qui aurait ainsi pu compromettre le régime.

Emmanuel Macron aurait répondu à l’aide demandée par Idriss Déby, président du Tchad depuis 1990 et allié historique de la France. Cette attaque aérienne française entre dans le cadre d’accords de défense entre les deux pays. Datant de l’époque coloniale, ces accords portent les stigmates de la « Françafrique », qui, malgré des discours dénonciateurs, demeure un modèle avec lequel il semble difficile de rompre. Alors que le Tchad est un régime autoritaire dirigé violemment par M. Déby, lui-même arrivé au pouvoir avec l’aide de la République Française, il est légitime de questionner le caractère éthique des relations franco-tchadiennes.

En aidant le Tchad à se débarrasser des rebelles, la France, a, aux yeux de la communauté internationale, porté secours à un régime autoritaire. Dirigé depuis plus de 20 ans par le même homme connu pour réprimer son peuple, le Tchad est un pays extrêmement corrompu. Avec un président qui enchaîne quinquennat sur quinquennat, organise des élections selon ses propres règles, et continue à rouler en carrosse alors qu’il baisse le salaire de ses fonctionnaires et augmente les impôts, le Tchad est un pays qui subit la présidence immoral d’Idriss Déby.

Idriss Deby, President du Tchad

Le pays possède un des Indices de Développement Humain les plus faibles. Par ailleurs, d’après le dernier rapport du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (Unicef), 4,4 millions d’individus parmi les 12 millions d’habitants du pays vivent dans des conditions difficiles, parmi lesquels 1,6 millions manquent de structures d’approvisionnement en eau, d’assainissement, et d’hygiène. Cette année, 2,5 millions d’enfants ont besoin d’aide humanitaire, et plus de 250 000 enfants de moins de 5 ans souffrent de la faim. A cette misère s’ajoutent d’autres difficultés liées à la propagation de nombreuses maladies telles que la tuberculose, le paludisme, le sida, les infections au staphylocoque, et diverses maladies congénitales. Sans compter que le Tchad fait face au groupe terroriste Boko Haram, qui est actif dans certaines régions isolées du pays.

Il est donc surprenant d’apprendre que la France, un pays qui prône les droits de l’Homme, ait déployé des moyens colossaux et coûteux pour soutenir un régime autoritaire. Au travers de ces raids visant à défendre un dictateur responsable de sérieuses violations des droit de l’Homme, la France se décrédibilise aux yeux de la communauté internationale.

De plus, les 50 pick-up armés de l’alliance rebelle ne représentaient pas une réelle menace pour le gouvernement tchadien qui possède une armée relativement efficace (armée qui, rappelons-le, avait repoussé en 2006 et 2008 de redoutables attaques venant du Soudan). De ce fait, soit cette demande d’aide était l’occasion pour le Tchad de mettre à l’épreuve le soutien historiquement indéfectible de la France, soit le pays s’est profondément affaibli depuis quelques années, au point de craindre un simple convoie de 50 pick-up. Dans les deux cas, cela prouve que le Tchad est dépendant du soutien français, sans lequel le régime d’Idriss Déby manque d’influence et de forces politique et militaire.

Ce n’est pas la première fois que la France s’immisce dans la politique intérieure de pays africains. Cette pratique a un nom: Françafrique. Elle décrit les relations néocoloniales françaises avec ses anciennes colonies africaines. Ce terme péjoratif a été utilisé pour la première fois par le président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, pour décrire la politique française très interventionniste en Afrique. La dépendance dans laquelle ces anciennes colonies sont enfermées s’organise autour de réseaux militaires, économiques, et de renseignement, et privilégie les intérêts français.

La Françafrique dénonce ainsi une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques, et militaires organisés en réseaux et en lobbies, en France comme en Afrique. Alors que le Tchad n’a jamais été véritablement considéré comme un pays lié au concept de la Françafrique, la relation ininterrompue entre les deux pays depuis l’indépendance du Tchad est indéniable. Ce n’est pas la première fois que la France intervient directement en Afrique. En 2013, le gouvernement français a lancé l’opération Serval, une intervention militaire définie comme « une opération antiterroriste ». Lancée par la France pour combattre le terrorisme et stabiliser le Mali, l’opération Serval a déployé 4 000 soldats français au Sahel, permettant alors au gouvernement français d’établir une certaine prééminence militaire dans la région. 

Le support de la France envers le Tchad avait aussi permis à Idriss Déby de chasser l’ancien président tchadien Hissène Habré en 1990. Depuis, la France et le régime d’Idriss Déby entretiennent des liens constants et amicaux. C’est ces relations qui ont conduit la France a lancer ce raid aérien au début du mois de février, reflétant ainsi l’implication française en Afrique, seulement un an après qu’Emmanuel Macron ait annoncé « vouloir en finir avec la Françafrique » lors d’une conférence à Ouagadougou au Burkina Fasso. Nicolas Sarkozy ainsi que François Hollande avaient eux aussi promis vouloir mettre fin à ces tendances néo-colonialistes; pourtant, la position de la France à l’égard de ses anciennes colonies ne change pas. Compte tenu des intérêts de la France et des nombreux contrats et accords signés avec les dirigeants africains, c’est encore le gouvernement français qui assure une protection totale des chefs d’Etat. 

La France et la communauté africaine en 1959

Ces accords français sont également profitables aux chef d’Etats africains. C’est entre autres le cas du Tchad qui héberge le quartier général de l’opération Barkhane, une opération anti-djihadiste de 4500 soldats initiée par la France au Sahel. Cette opération supporte donc le Tchad dans sa lutte antiterroriste. 

Pour la France, les droits humains et la devise « Liberté, Égalité et Fraternité »,  piliers de la démocratie, prévalent pour certaines problématiques de politiques nationales et internationales, mais sont ignorés pour d’autres causes. Idriss Déby peut ainsi se réjouir d’être un président aimé de la France. Alors qu’il est critiqué par son peuple qu’il dirige d’une main de fer, viole les droits de l’Homme, et privilégie ses intérêts personnels, il continue à être soutenu par la superpuissance militaire et économique française. Si Idriss Déby demeure au pouvoir alors que son pays connaît un seuil de pauvreté supérieur à 40%, c’est entre autre grâce au soutien de la France.

Les avantages économiques et militaires que la France gagne au travers de cette alliance avec le Tchad lui semblent suffisantes pour mettre de côté ses valeurs morales, éthiques, et démocratiques. Tant que les présidents corrompus continueront à bénéficier de ces alliances avec la France pour consolider leur position dans leur pays respectif, la Françafrique ne cessera d’exister. Les populations africaines sont les grandes victimes de ces alliances hypocrites, tant elles s’enfoncent dans la pauvreté et l’insécurité, et sont prises en étau entre un régime autoritaire d’un côté, et des groupes terroristes de l’autre. 

Edited by Laura Millo