Terrorisme: l’Arme Populiste du Front National

Le 21 avril 2002, lors du second tour des élections présidentielles, s’opposent Jacques Chirac, candidat pour une réélection, et Jean-Marie Le Pen, candidat du Front National. La présence du parti d’extrême droite au second tour mobilise en masse le peuple français afin d’empêcher son arrivée à la tête du pays. En 2017, durant les présidentielles, qui ont vu l’échiquier politique plus divisé que jamais, le parti est véritablement sous les projecteurs de la scène politique, et atteint le second tour des élections. Si son arrivée au pouvoir est de nouveau empêchée par une mobilisation électorale, bien que moins massive qu’en 2002, il est néanmoins intéressant de se pencher sur ce schéma de “déjà-vu”, quinze ans plus tard.

Le parti, aujourd’hui rebaptisé “Rassemblement National”, n’a jamais véritablement quitté le champ politique français. Après 2002, le parti est néanmoins plus en retrait, ceci, jusqu’aux élections présidentielles de 2012, durant lesquelles il obtient 18% des voix avec sa candidate Marine Le Pen, fille du candidat de 2002. Depuis, le parti ne cesse de gagner en influence et en partisans, et cela se fait particulièrement sentir avec les élections régionales de 2015. Ces élections font suite à une série d’attentats en France, qui marque l’arrivée de la menace terroriste dans le pays. Des trois attaques terroristes subies sur le sol français, la première est celle qui touche le siège du journal Charlie Hebdo le 7 Janvier 2015 à Paris, et apparaît comme une sombre réponse à la une parue quelques temps plus tôt dans l’hebdomadaire, d’une satire du prophète Mohammed. La tuerie, qui est suivie d’une prise d’otage, génère une réaction mondiale; notamment aux Etats-Unis, différents hommages sont rendus, par le président de l’époque Barack Obama, mais aussi avec un rassemblement de plus de 1,500 personnes à New York. Par la suite, en novembre 2015, surviennent la sanguinaire fusillade et la série d’attaques-suicides dans la salle de concert du Bataclan. Cette fois, l’attaque est perçue comme une atteinte explicite au style de vie occidental. Enfin, arrive la dramatique tuerie du 14 juillet 2016 à Nice lors des feux d’artifice de la fête nationale. Un camion fonce à toute allure sur des piétons, laissant derrière lui quatre-vingt-quatre cadavres et cent blessés. Cette attaque est de loin la plus violente en matière de symbolique, touchant en plein cœur l’identité nationale du pays.  Toutes les  attaques sont revendiquées par l’État Islamique, et portent la marque de fabrique devenue habituelle des attaques de Daech : il s’agit de tueries ou d’attaques-suicides, qui touchent des cibles arbitraires, de la manière la plus inattendue possible. Elles sont conçues en tout point pour faire naître un sentiment de crainte prolongée, et assurer la sensation d’avoir une épée de Damoclès qui pend au-dessus du pays. En réponse, est mis en place le plan « Vigipirate » : un renforcement des forces de police et militaire, qui patrouillent au sein des villes et s’intègrent peu à peu à la vie civile, comme s’il s’agissait d’un état de guerre constant. Ces dispositions n’empêchent pourtant pas la montée d’un sentiment d’insécurité continu au sein d’une grande partie du peuple français.

Des soldats en patrouille dans la capitale française, dans le cadre de Vigipirate. https://flic.kr/p/7pc6Xj

En parallèle, la France se retrouve prise dans l’engrenage Européen d’une crise migratoire sans précédent qui divise la région aux niveaux politique et social. La détresse de différents pays a en effet généré une exode importante vers l’Europe occidentale. La région se retrouve terre d’accueil d’une véritable crise humanitaire qu’aucun gouvernement national comme supranational, ne parvient à gérer, et ce depuis plusieurs années. En France, cela se traduit par l’établissement en véritables “jungles” de tentes et autre abris de fortune, qui envahissent les villes et font réagir les populations locales. Le gouvernement peine à prendre des dispositions et la population se fait de plus en plus impatiente. S’observe également une poussée du multiculturalisme en France, bien qu’à faible vitesse, conduisant à une perception de menace culturelle pour une partie de la population française. On entend parler de “grand remplacement“, théorie du polémiste Éric Zemmour, qui défend que les français “souches” se voient peu à peu remplacés par des étrangers, et en particulier par des arabo-musulmans.

De fait, tout semble réuni pour alimenter davantage le rejet de l’étranger, et du monde arabe tout particulièrement, à travers la crainte du terrorisme, de l’immigration qui paraît incontrôlée, et le multiculturalisme qui menace la portée des valeurs françaises dans l’enceinte des frontières. Pour le Front National qui utilise l’identité nationale, la xénophobie, et les amalgames avec l’Islam, c’est la parfaite recette populiste. Pour les français, il y a des responsables à pointer du doigt, et ces derniers sont présumés provenir de l’étranger, et en particulier, de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. C’est donc par ces arguments que le parti compte obtenir son ticket pour l’Elysée.

Le premier pas consiste à remettre en cause et ultimement rejeter l’Europe des frontières. Les eurosceptiques s’éparpillent à travers l’hémicycle et ne sont pas uniquement situés à l’extrême droite; il existe au sein de la France, un mécontentement global vis-à-vis de l’Europe. Néanmoins, pour l’extrême droite, l’espace Schengen est en tête de liste des problèmes que pose cette union supranationale.

Image de l’Europarlement. Marine Le Pen, pourtant eurosceptique, a été députée européenne de 2004 à 2017.

En effet, selon Madame Le Pen, il faut, entre autres, fermer les frontières, quitter l’Europe, l’OTAN, et toute forme de souveraineté qui n’est pas purement nationale; mais également rejeter la mondialisation afin de promouvoir la culture et les traditions, contre-attaquer le multiculturalisme, et préserver les français de souche. Dans son programme pour les présidentielles de 2017, il est aussi question de retirer le droit du sol, la double nationalité extra-européenne, et de retirer le drapeau Européen de tout bâtiment public afin de renforcer l’exhibition du drapeau Français. Son programme fait des références constantes à l’Europe, aux frontières, et à l’”étranger”. Il s’agit d’un combat entre la France et ses “vrais” français, et le reste du monde. Même lorsqu’elle traite de la défense du droit des femmes, Marine Le Pen cible directement l’Islam contre lequel il faut lutter, car il fait “reculer leurs libertés fondamentales“. Ainsi, en témoignant d’une volonté de non seulement fermer la porte aux nouveaux arrivants, mais également de renvoyer hors de la France certains groupes, une véritable fracture naît au sein de la population, rendant d’autant plus complexe et difficile la mise en place d’une politique d’assimilation républicaine que la France souhaite promouvoir. L’immigration provenant des pays du Maghreb, s’est longtemps vue accompagnée d’une politique d’assimilation, plutôt que d’une simple intégration. Il est question non pas de vivre avec le peuple français, mais de devenir le peuple français. Selon Marine Le Pen, on est français ou on ne l’est pas: il n’y a pas de place pour les mélanges culturels.

Il est important de souligner que la présence de Marine Le Pen au deuxième tour des présidentielles de 2017, est aussi due à la chute politique de François Fillon, qui obtient un score proche du sien à l’issue du premier tour. Néanmoins, il est possible d’établir un lien causal fort entre les attaques terroristes et ce regain d’intérêt pour l’extrême droite. La peur qui naît légitimement des attaques terroristes de plus en plus fréquentes en Europe, est facile à instrumentaliser. On touche à l’instinct de survie, et le Rassemblement National l’a bien compris. Si l’extrême droite continue de manquer ses objectifs finaux, que ce soit en 2002, aux élections régionales de 2015, ou de nouveau en 2017, il est néanmoins évident que le parti s’en rapproche de plus en plus. La prochaine étape est celle des élections européennes de 2019; des élections qui ont souvent servi de défouloir en milieu de mandats présidentiels. La question étant de savoir si l’eurosceptique absentéiste sera de nouveau présente – tout du moins élue – au parlement de Bruxelles.