Un Nouvel Espoir Au Rwanda Au Prix De La Démocratie?

Le Rwanda a connu une croissance importante au cours des dernières années avec 8,6% de croissance l’année passée. Cette croissance a été possible grâce à une politique efficace qui propulse le pays sur la scène internationale. Celle-ci a pourtant un coût et il est important de préciser que le Rwanda est souvent décrit comme étant une démocratie de façade. Le président Paul Kagame, au pouvoir depuis 19 ans en est le symbole.

Pour comprendre pourquoi Kagame est au pouvoir depuis si longtemps il faut remonter aux prémices du génocide. Depuis l’époque coloniale allemande puis belge, les rwandais sont divisés en deux groupes ethniques: les Tutsis et les Hutus. Les Tutsis, largement privilégiés par l’administration coloniale, suscitaient la haine des Hutus, ce qui conduit au début d’une guerre civile en novembre 1959. Des centaines de milliers de Tutsis doivent alors s’exiler en Ouganda. En 1990, le Front Patriotique Rwandais, formés de descendants d’exilés tutsis, entre par la force au Rwanda et une guerre civile commence. Suite à la mort du président du FPR, Fred Rwigema, le 2 octobre 1990, son numéro 2 le remplace: Paul Kagame. En parallèle le FPR négocie avec le gouvernement rwandais et signe les accords d’Arusha en août 1993. Ils devaient permettre la réintégration des exilés au Rwanda ainsi que l’autorisation du FPR en parti politique du Rwanda. Cependant, il suscite le rejet d’une partie de la société hutu, débouchant sur le génocide sanglant du 7 avril 1994 qui fera plus de 800 000 victimes d’après l’ONU. Le 4 juillet de la même année, le FPR prend Kigali et procède à la mise en place des accords d’Arusha. Grâce à ceux-ci, le Rwanda semble aujourd’hui moins tiraillé par cette lutte ethnique interne.

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Le Kigali Convention Centre.

Depuis 1994, le pays est parvenu à sortir de sa misère pour prendre le chemin d’une nation en plein essor. Cependant, durant les premiers temps après la guerre, la confiance des investisseurs en l’économie rwandaise était rompue. Dans l’optique d’obtenir de nouveaux financements, le Rwanda s’est entendu avec le Fond Monétaire International, ce qui permet au pays de bénéficier de nouveaux prêts. Ceux-ci ont été alloués à des projets de développement. Dès lors, le gouvernement, à la grâce des pays du G8 a pu bénéficier d’une remise de dette grandement nécessaire. L’économie est encore portée par l’agriculture de subsistance et les moteurs de l’exportation sont des produits bruts: le café et le thé. Mais depuis les années 2000, le pays mise avec succès sur le tourisme de niche, haut-de-gamme, mais à forte valeur ajoutée. Kigali se renouvelle et accueille de plus en plus d’événement à visée régionale voire continentale, surtout depuis l’inauguration en grande pompe par Kagame du Kigali Convention Centre. Par ailleurs, les grandes chaînes hôtelières telles que Radisson ou Marriott inaugurent les unes après les autres leurs succursales pour faire face à l’afflux de la clientèle d’affaire attirée par la stabilité politique depuis la fin du génocide.

Des progrès sanitaires ont également été observés. Le pays a surpassé les objectifs de développement du millénaire fixés par l’ONU pour 2015. Le taux de prévalence du VIH a diminué, la couverture vaccinale a augmenté, la mortalité infantile est en déclin et l’espérance de vie en hausse. Ces chiffres reflètent l’engagement de l’Etat avec une couverture médicale universelle et une politique de santé publique de prévention des maladies sexuellement transmissibles. En outre, c’est le premier pays “à faibles revenus” à assurer des services d’ophtalmologie gratuits à ses habitants. Au niveau éducatif, le gouvernement s’est investi pour améliorer le taux de scolarisation qui atteint les 98% en 2016, alors que les autres pays d’Afrique subsaharienne tournent généralement autour des 50%. Néanmoins, l’amélioration de la qualité de vie s’est faite au prix des libertés individuelles.

En effet, les médias sont sous pression depuis l’ascension de Paul Kagame au pouvoir en 2000. Le pays est au 155ème rang de la liberté de la presse d’après le dernier Classement mondial de Reporter Sans Frontière. En théorie, le gouvernement garantit cette liberté dans la Constitution. Dans les faits, les médias sont de connivence avec le pouvoir et défendent son action, afin d’éviter la censure. Le pays se caractérise par un cadre légal très restrictif consolidé par une réforme du Code Pénal datant de 2018 et favorisant la condamnation et l’emprisonnement des journalistes pour “outrage” ou “diffamation par voie de presse”. Par ailleurs, le gouvernement fait ressortir le spectre du génocide au cas où les médias critiqueraient l’action gouvernementale auquel cas ils seraient “divisionnistes”. L’idéologie promue du parti et de facto du pays est d’unir Hutus et Tutsis indifféremment. Dès lors, quiconque remet en cause le nouveau contrat social est considéré ennemi du peuple. Même s’il n’y pas eu de disparitions ces dernières années, l’autocensure est au plus haut et les exils forcés sont fréquents. Par exemple, en 2010, Victoire Ingabire avait été incarcérée pour “négation du génocide” puis son parti, le FDU Inkingi, avait été exclu par les autorités des élections présidentielles de 2019. Son tort? Avoir publiquement affirmé que le génocide avait aussi fait des victimes hutus. Ingabire avait été graciée par Kagame en septembre 2018, après avoir passé 8 ans en prison. Peut-être une occasion pour le président de redorer son image avant les nouvelles élections. Les arrestations préventives sont majoritairement à l’encontre de l’opposition politique du FPR de Kagame. Ces derniers mois, quatre proches de Ingabire ont été assassiné, le dernier assassinat ayant pris lieu le 23 septembre de cette année.

Une rue de Kigali, la capitale.

Les Etats-Unis ont révélé des irrégularités suspicieuses dans l’organisation des élections présidentielles de 2017. La procédure pour devenir candidat est laborieuse et peu transparente. Kagame est ressorti grand vainqueur des élections avec 98,63 % des suffrages exprimés pour un troisième mandat de sept ans. Les deux autres candidats récupérant les miettes: 0,73% pour l’indépendant Philippe Mpayimana et 0,47% pour Frank Habineza du Parti Démocratique vert. Les deux candidats n’ont eu que trois semaines pour se faire connaître du public et sans financement: les jeux étaient faits d’avance. Le FDU, pourtant le plus grand parti d’opposition, n’était pas même présent, sa candidate étant incarcérée.

En outre, alors que la Constitution n’autorisait pas la tenue d’un troisième mandat, Paul Kagame a fait amender les articles 101 et 172 par le Parlement, puis a confirmé leur modification par référendum en 2015. Avec les nouvelles mesures imposées, il pourrait potentiellement rester au pouvoir jusqu’en 2034. Concernant le référendum, la campagne pour le NON fut inexistante, et le délai ridiculement court de 10 jours entre l’annonce et la tenue du vote rendirent impossible une possible organisation de l’opposition. L’initiative fut présentée comme venant du peuple après le succès d’une pétition signée par 3,7 millions de rwandais, demandant à ce que Kagame reste au pouvoir après ses deux premiers mandats. Difficile d’imaginer une possible contestation sous une présidence qui entrave la liberté d’expression et d’opinion.

Mais la présidence de Kagame est accompagnée de développements importants pour le pays. Ainsi, elle est souvent citée en exemple pour les droits des femmes. En effet, une loi de 2005 a été promulguée afin que 30% des emplois de la fonction publique soient des femmes. Résultat, plus de 60% du parlement est féminin, un record mondial.  Par ailleurs, alors qu’auparavant l’avortement était totalement interdit, une réforme du Code Pénal en 2018 l’autorise désormais si la grossesse est le résultat d’un viol, d’un inceste ou d’un mariage forcé. L’année dernière, le président à récemment gracié 367 personnes condamnées pour “avortement”, “complicité en avortement” et “infanticide”.  Malgré ces progrès apparents, les dessous de ces politiques restent flous. Une étude du “Great Lakes initiative” a révélé que certaines des femmes ont été injustement accusée d’avortement par la justice alors qu’elles étaient victimes d’une fausse-couche, et donc emprisonnées.  On peut aussi se demander si ces mesures ne sont finalement pas une nouvelle technique du président afin de refléter un Rwanda à la démocratie juste et prospère, alors que les dessous de cette politique sont bien plus sombres.

Malgré le déséquilibre de cette démocratie, Kagame semble bénéficier d’une image toujours aussi favorable auprès de son peuple et de ses voisins. Le 7 avril 2019, Kigali a commémoré les 25 ans du génocide avec 100 jours de deuil national où Kagame a affirmé que “le Rwanda est redevenu une famille”. La fracture sociale n’existe plus au niveau ethnique et la haine a laissé place au recueillement. Le profond respect du président face à cet événement est une des raisons de sa popularité. Il est considéré par certains comme le sauveur de la nation.

Le président Paul Kagame avec le président sud-africain Jacob Zuma pendant une réunion de l’Union Africaine à Addis-Abeba le 29 janvier 2015.

Enfin, malgré une démocratie bancale, le Rwanda semble devenir un acteur de plus en plus important au sein de l’Afrique et du monde. Au niveau économique, de nouvelles alliances ont été créées, avec l’arrivée de l’ambassade d’Israël cette année et un accord d’intention d’une Zone Économique de libre échange continentale (ZLEC) signé pendant le dixième sommet extraordinaire de l’Union Africaine à Kigali en 2018. Kagame fut aussi président de l’Union Africaine en 2018. Il a prôné l’indépendance financière de l’UA, qui dépend à 54% de financement extra-africains, ce qui fragilise la souveraineté du continent. Pour cela, il a présenté une taxe sur les importations extra-africaine de 0,2%. Son autre projet est un “fond pour la paix” pour financer les opérations de maintien de la paix en Afrique dans l’optique de pouvoir un jour remplacer l’ONU et les autres acteurs internationaux. Les autres dirigeants africains saluent son dynamisme pour faire émerger l’Afrique dans une Union Africaine jusqu’alors atone.

Figure incontournable de la politique rwandaise, Paul Kagame est président du Rwanda depuis plus de 19 ans. Il accumule les victoires électorales et les indicateurs économiques et sociaux témoignent d’un relèvement spectaculaire après le génocide de 1994. Il mène une politique qui se veut indépendante et affranchie du néo-colonialisme occidental. Il est le nouveau visage du panafricanisme, c’est-à-dire de l’indépendance et la fraternité des peuples africains. Malgré le fait qu’il dirige le pays d’une main de fer, Paul Kagame a réveillé un espoir enfoui depuis longtemps. “Paul Kagame est une grande source d’inspiration pour le Rwanda et le reste de l’Afrique”, affirme un internaute rwandais. Mais cela jusqu’à quand?

Edited by Paloma Baumgartner