Violences dans le Nord-Ouest de la Colombie, les conséquences d’un territoire délaissé

En 2012, le gouvernement du Président Juan Manuel Santos entame des négociations de paix avec les FARC-EP (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia-Ejército del Pueblo) à Oslo et La Havane. Les FARC sont une guérilla se proclamant d’orientation politique  ‘marxiste-léniniste’, formée dans l’objectif de représenter les intérêts de la population rurale après la guerre civile de 1949 à 1958 et avec l’ambition de renverser le gouvernement. Après plus de 50 ans de conflit armé, quatre ans de dialogue avec le gouvernement mènent à la signature d’accords de paix en 2016.

Cependant, le ELN (Ejército de Liberación Nacional), la deuxième guérilla la plus importante du pays, est restée active face à un gouvernement silencieux. L’actuel Président de la Colombie, Iván Duque, a abandonné toute tentative de dialogue avec le groupe armé suite à un attentat à la bombe contre l’école des cadets de police à Bogota, en janvier 2019, revendiqué par la guérilla. De même, bien qu’étant officiellement démobilisés, de nombreux groupes paramilitaires apparus à la fin des années 60 dans l’objectif de combattre les FARC n’ont pas remis leurs armes en totalité et se sont reconvertis en organisations criminelles. 

Par ailleurs, le désarmement des FARC dans certaines régions rurales du nord-ouest de la Colombie a laissé vide un territoire stratégique à conquérir, notamment dans le département du Chocó. Aujourd’hui, des communautés civiles, principalement autochtones, sont victimes d’extrêmes violences; conséquences d’affrontements entre divers groupes armés, notamment le ELN et le Clan del Golfo, un cartel colombien considéré comme l’une des organisations criminelles les plus puissantes du pays et issu d’un groupe néo-paramilitaire. Les groupes armés cherchent principalement à conquérir du territoire dans le but d’élargir leurs aires d’influence et leurs activités de trafic de drogues. La municipalité de Juradó, point stratégique reliant l’Océan Pacifique colombien au Panama, est ainsi particulièrement prisée par les narcotrafiquants. La situation illustre l’importance que l’état prenne en charge de manière rapide et efficace les territoires laissés vides par la démobilisation des FARC, pour le succès de la paix.

La violence touche fortement le département de Choco, dans le Nord-Ouest du pays
“Map” par TravelingMan sous licence CC BY-NC-ND 2.0

En effet, la résurgence de la violence est l’un des principaux obstacles à la mise en oeuvre des accords de paix. Elle affaiblit la capacité de participation des communautés, leurs moyens de subsistance, le développement de stratégies post-conflits dans les régions touchées et la confiance des citoyens en l’État.

Parmi les victimes de cette violence, des enfants, recrutés dans les villages alentour par ces groupes et abusés sexuellement et/ou physiquement. Une autre conséquence de ces affrontements est la multiplication de mines présentes sur le territoire, utilisées par les divers groupes armés comme armes de combats. Ces violents affrontements poussent également de nombreux habitants à abandonner leurs villages pour des raisons de sécurité. Un épisode concret : le 5 janvier 2020, des hommes armés et cagoulés du Clan del Golfo font irruption en pleine nuit dans le village autochtone d’Agua Blanca, forçant les portes des habitations à la recherche de prétendus « infiltrés de la guérilla », autrement dit, des membres du ELN. Ils finissent par assassiner un homme sous prétexte de ne pas avoir trouvé son neveu, accusé d’être membre du clan ennemi. Le rescapé assure ne toujours pas savoir pourquoi il était recherché.  Quatre jours plus tard, les habitants d’Agua Blanca, dont plus de 78 enfants, décident de quitter leur village. Les assassinats et déplacements forcés de communautés ne sont pourtant qu’une partie des infamies perpétrées dans le département. 

Le ELN et le Clan del Golfo ont également formé des alliances, chacun de leur côté, avec des groupes criminels locaux de la région tels que Los Chacales, alliés du ELN à Bahia Solano, municipalité du département de Chocó. Ces alliances ne font qu’intensifier la violence, officialisant les divisions et ravivant les tensions entre les divers groupes. Les autorités de la ville de Quibdo, capitale du département de Chocó, ont répertorié plus de 20 assassinats en 2020, le double du nombre répertorié l’année dernière à la même période. De plus, de nombreuses communautés craignant pour leurs vies sont confinées dans l’impossibilité de se déplacer jusqu’à leurs lieux de travail ou même d’accéder à des vivres. 

Dans un tel contexte, que fait le gouvernement? Bien que l’armée soit déployée dans certaines zones sensibles, certains habitants de la ville de Bojayá réclament la « présence intégrale » de l’État et dénoncent l’abandon du territoire. De nombreuses déclarations d’actes de violence ont été effectuées par les communautés locales. En réponse, la 7ème division de l’armée colombienne a récemment envoyé 150 hommes de plus sur le territoire. Malgré certains efforts du gouvernement, de nombreuses localités ont dû prendre des mesures d’autoprotection, telles que l’instauration de couvre-feu.

D’après la Fondation « Ideas Para La Paz », le scénario d’une défaite militaire du ELN est peu probable et pourrait conduire à une guerre de faible intensité avec des coûts humanitaires élevés. Un dialogue entre le gouvernement et le groupe armé semble également peu probable, du moins dans le contexte actuel. En effet, le gouvernement du président Duque a internationalisé les tensions avec le ELN en qualifiant la situation de « lutte contre le terrorisme » mais aussi en accusant le Venezuela d’accueillir des guérilleros. La Colombie s’est également abstenue de voter à l’ONU en faveur de la levée de l’embargo économique imposé à Cuba, suite au refus du pays d’extrader les négociateurs du ELN présents sur l’île. La Fondation « Ideas Para La Paz » recommande tout de même la préservation du dialogue, la mise en place de mesures de création de confiance ainsi qu’une désintensification du conflit à travers la libération d’otages (par le ELN), l’amélioration des conditions des détenus, et même un cessez-le-feu. Elle recommande également l’exécution des Programmes de Développement à Approche Territoriale (PDET) dans les zones d’influence du ELN dans le but d’accroître la légitimité de l’État, le maintien de relations diplomatiques avec le Venezuela et, finalement, la compréhension des dynamiques et logiques internes du ELN, ses motivations ainsi que les implications d’un potentiel processus de paix et les moyens nécessaires pour son implémentation. 

«Et les otages du ELN, quoi?»
Marcha 20 de julio – “¿Y los secuestrados del ELN qué?”par
Julián Ortega Martínez / equinoXio sous licence CC BY 2.0

En ce qui concerne la communauté internationale, d’après un rapport datant de janvier 2020 le responsable de la mission de vérification de l’ONU en Colombie, Carlos Ruiz Massieu, a informé la Chambre des Nations Unies que la violence omniprésente dans des zones affectées par le conflit continuait de menacer la paix et a signalé plusieurs « développements profondément inquiétants » de groupes armés illégaux. Il a notamment cité les départements de Cauca, Chocó et Narino comme des « épicentres » de violence, et a signalé que « les zones rurales touchées par une présence limitée de l’État, une pauvreté persistante et où des groupes armés illégaux continuent de persécuter les populations pour contrôler les économies illicites » demeurent un problème chronique en Colombie. Le document final du Sommet Mondial de l’ONU de 2005 intègre le principe R2P,  « la responsabilité de protéger ». Le paragraphe 138 du rapport stipule ainsi que chaque État a la responsabilité de protéger ses populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité et que cette responsabilité implique la prévention de tels crimes. De plus, la communauté internationale se doit, s’il convient, d’encourager et d’aider les États à exercer cette responsabilité.  En vue de la situation actuelle se déroulant en Colombie et des phénomènes allant à l’encontre du droit international, tels que le recrutement d’enfants, qu’elle implique, la situation est plus qu’urgente. Le 15 janvier 2020, le communiqué de presse du Conseil de Sécurité de l’ONU a renouvelé son appel au gouvernement colombien à prendre des mesures efficaces pour améliorer la sécurité dans le pays, notamment à travers l’expansion de la présence intégrée des civils et de l’État aux zones touchées par des conflits. 

L’état colombien se doit donc d’augmenter sa présence dans les zones rurales touchées par ces violences pour protéger ses citoyens, tout en redoublant d’efforts dans l’implémentation des accords de paix. Le pays, théâtre d’assassinats incessants de dirigeants communautaires autochtones et afro-colombiens, de meurtres d’anciens membres des FARC démobilisés, ainsi que d’exploitation de migrants vénézuéliens par divers groupes armés, reste instable. Ces dynamiques internes ne cessent de mettre en péril les accords de paix de 2016 si le gouvernement d’Ivan Duque ne prend pas ses responsabilités et n’agit pas rapidement et efficacement. 

Featured Image: “Colombia!” par Carlos Castro Ruge sous license CC BY-SA 2.0