Vostok 2018: La Russie, Mastermind D’Une Alliance Orientale?

Avec la participation d’environ 300,000 troupes Russes, 3,200 personnels Chinois, 1000 avions et 80 navires, Vostok 2018 est le plus gros exercice militaire effectué par la Russie depuis la fin de la guerre froide. Cette démonstration militaire de masse exécutée par la Russie entre le 11 et 17 septembre, implique la participation de la Chine. L’étendue d’un tel exercice semble envoyer un message important à l’Occident.

Cet exercice, comme dans la plupart des cas pour les démonstrations militaires, vient s’inscrire dans une pratique qualifiée de “swaggering”. Le swaggering consiste à exposer ses capacités militaires, afin d’affirmer un certain prestige et statut militaire, ainsi que de dissuader un potentiel agresseur d’attaquer la nation en question.

Pour la Russie, les forces armées sont d’une importance particulièrement capitale. Dans un monde où le pouvoir se divise entre influence économique et capacité militaire, la Russie s’appuie sur la puissance de ses forces armées pour maintenir une certaine influence à l’international. En effet, d’un point de vue économique, le pays, bien qu’en meilleure posture qu’il y a trente ans à la fin de la Guerre Froide, est encore instable et inégalitaire. Néanmoins, si la Russie n’est de fait pas une puissance établie à tous les niveaux, elle joue un rôle indéniablement capital au sein des relations internationales, et influence les jeux de pouvoirs sur la scène politique. Siégeant de façon permanente au Conseil de Sécurité des Nations Unies, le pays n’hésite pas à user de son droit de veto pour empêcher des actions collectives. Également, le pays se place comme le meneur de jeu de la guerre en Syrie, prônant un soutien explicite au le Président Syrien, Bachar Al-Assad.

Le dirigeant Russe, Vladimir Poutine, ancien agent de KGB, contribue lui-même à nourrir l’image d’un pays fort, dans le but d’être perçu comme une main de fer dans les négociations. Monsieur Poutine, à travers son image de leader charismatique et d’homme rude, dépeint ainsi une nation difficile à soumettre face aux dominations occidentales.

Des véhicules hollandais en route pour l’établissement de camps militaires dans le cadre de l’exercice Trident Juncture le 1er Novembre 2018. https://www.defensie.nl/actueel/nieuws/2018/11/06/tegenaanval-tijdens-trident-juncture-op-land-bijna-voltooid

Si l’exercice militaire sert à affirmer la prestance du pays à l’international, il semble aussi se produire à l’issue de diverses activités du même type, notamment organisées par l’OTAN. En effet, en juin 2018, l’alliance a procédé à un premier exercice de démonstration militaire en Pologne. Il fût suivi de l’Opération Saber Strike, effectuée dans les Balkans, en septembre 2018. Ces deux démonstrations militaires ont donc eu lieu dans des régions particulièrement proches de la Russie au niveau géographique, comme historique. Également, l’OTAN prévoit depuis plusieurs mois l’organisation de Trident juncture, le plus gros exercice militaire transnational de l’alliance ayant lieu en Norvège, pays frontalier de la Russie. L’objectif premier de ce dernier, se déroulant en octobre et novembre 2018, est de montrer que l’OTAN est capable de se défendre. Effectivement, l’OTAN est organisée autour d’une alliance défensive, et clame ne pas chercher “l’affrontement, mais [être] attaché[e] à la défense et à la dissuasion. C’est là tout le propos de l’exercice : [s’]entraîner à la défense, et produire un effet dissuasif, pour être prêts à réagir à tout moment aux menaces”, comme l’a souligné l’amiral Foggo.

La Russie s’est cependant dite menacée par les opérations de l’OTAN à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, et notamment par la présence renforcée des forces de l’alliance le long de sa frontière Européenne. Il faut noter que l’OTAN, constituée principalement de pays Européens, est largement menée par les États-Unis; ces derniers sont en effet les principaux contributeurs au budget de l’organisation. De fait, les relations de l’OTAN et de la Russie s’inscrivent dans la même lignée que celles de la Russie et les Etats-Unis.

Certains jugent donc que ces exercices militaires incitent la Russie à répondre par des actions d’un ordre similaire. C’est le cas de la très controversée annexion de la Crimée en 2014, qui a davantage amplifié les tensions avec l’Occident. En effet, c’est ce à quoi peuvent mener les exercices de ce type: chacun cherche à prouver sa capacité à se défendre en cas d’attaque afin d’assurer un effet de dissuasion. Cependant, les armes de défense sont également bien souvent des armes d’offense. De fait, tous les pays éprouvent le besoin d’augmenter et de démontrer leurs capacités militaires, ce qui peut rapidement mener à une course à l’armement, et à une escalation des tensions. Ainsi, alors que l’on veut assurer la paix, le résultat est parfois aux antipodes de relations apaisées, et génère d’autant plus d’hostilités et un sentiment de méfiance entre les pays.

Meeting entre le Président Turc Recep Tayyip Erdogan (gauche) et le Président Russe Vladimir Poutine (droite) www.kremlin.ru

Les relations de la Russie avec l’OTAN se sont encore complexifiées avec le cas de la Turquie, membre de l’alliance depuis 1952, qui entretient des relations rapprochées avec la Russie depuis 2010. Bien que les deux pays possèdent  des mésententes au sujet de la guerre en Syrie dans laquelle ils soutiennent des forces opposées, la Turquie a témoigné un rapprochement avec la Russie aux dépens de ses alliés occidentaux de l’OTAN. Des enjeux énergétiques ont en l’occurrence généré la collaboration de la Russie et de la Turquie  à plusieurs reprises. Au cours des dernières années, ces deux pays ont établi différents accords économiques, incluant la vente de missiles russes à la Turquie, la construction d’une centrale nucléaire et d’un gazoduc communs. Ainsi, les relations émergentes russo-turques, fragilisent considérablement la formation du bloc OTAN face à la Russie, et favorisent l’émergence d’une potentielle alliance orientale représentant une alternative au bloc militaire occidental.

De fait, Vostok 2018 a des airs de contre-balancement des forces occidentales à travers une alliance orientale. La Chine prend effectivement part à l’exercice, ajoutant donc des ingrédients à la recette d’une possible alliance en opposition au bloc d’occident. Le pays est aujourd’hui perçu comme le plus grand “challenger” des Etats-Unis, et serait donc un allié proéminent. Néanmoins, cette alliance se déroule au niveau militaire, ce qui, comme énoncé précédemment, n’a rien de surprenant dans le cas de la Russie, mais l’est un peu plus dans celui de la Chine.

En effet, cette dernière doit sa puissance à son économie qui se développe à la vitesse de la lumière, à sa main-d’oeuvre de masse, et à ses capacités de production peu coûteuses. C’est grâce à sa place sur le marché et à la dépendance de la plupart des puissances à sa production que la Chine se place aux côtés des plus grands dans les jeux de pouvoirs. Également qualifiée de puissance émergente, elle possède tout comme la Russie, son siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies, et investit grandement dans le développement de ses forces militaires – à hauteur de 1.91% de son PIB en 2017.

Cependant, le pays n’a jamais entrepris quoique ce soit qui puisse l’engager dans un conflit armé avec les Etats-Unis, qui demeurent intouchables militairement parlant. Seule une alliance de taille pourrait faire changer la balance. De fait, un rapprochement militaire avec la Russie peut être le signe d’une volonté de contrer la puissance militaire américaine. Néanmoins, la proportion de troupes chinoises déployées pour l’exercice reste assez faible, et semble davantage représenter la formation d’une entente à double enjeu. D’un côté, elle préserve la frontière de 4209,3 kilomètres commune à la Chine et la Russie; d’un autre, cette entente peut se développer et devenir une véritable alliance de poids, si un jour il est question d’une entreprise militaire de grande envergure contre l’occident et les États-Unis tout particulièrement.

De fait, à travers Vostok 2018, la Russie réaffirme sa puissance militaire face aux forces occidentales. En créant la base d’une entente militaire avec la Chine, ainsi qu’à travers son rapprochement à diverses échelles avec la Turquie, la Russie s’entoure des meilleurs candidats pour fragiliser le bloc occidental qui continue de s’opposer au pays, même dans une mesure superficielle. Cet exercice, bien que non agressif dans sa nature, semble chercher à envoyer un message, qui place la Russie au poste de mastermind d’une potentielle alliance orientale.

 

Edited by Laura Millo