Chute de FTX : L’échec des cryptos

« Je suis vraiment désolé, encore une fois, que nous nous soyons retrouvés ici », a twitté Sam Bankman-Fried le vendredi 11 novembre sous les ruines de son empire, FTX. La faillite de la deuxième plateforme d’échange de cryptomonnaie, considérée il y encore quelques semaines comme l’une des plus sûres, a provoqué un séisme dans l’univers de la cryptomonnaie. En deux jours, la capitalisation mondiale des cryptos a chuté de 240 milliards de dollars et d’autres plateformes d’échanges sont en difficulté. Encore une chute pour l’industrie du crypto, mais cette fois-ci, il est douteux qu’elle pourra se relever.

La faillite de FTX Trading avec 130 compagnies affiliées s’annonce comme la plus grosse chute dans le monde des crypto-monnaies. Le pire est que personne ne s’y attendait. FTX prospérait avec une valeur de 32 milliards de dollars, elle comptait 1 million d’utilisateurs et s’affichait fièrement comme la société la plus réglementée du paysage des cryptomonnaies. À sa tête régnait Sam Bankman-Fried, le « chevalier blanc » du crypto, un personnage emblématique et apprécié de la cryptosphère qui venait toujours au secours lorsque l’industrie était en difficulté. En juin, il finance 250 millions de dollars à BlockFi, une entreprise d’échange crypto qui coulait face à la montée des taux d’intérêts. Il était également porte-parole crypto à la Maison blanche, où il militait pour une meilleure réglementation du secteur.  

Mais les révélations entourant la faillite de FTX dévoilent le dessous d’une gestion scandaleuse de l’entreprise, par un jeune PDG milliardaire dans un secteur très peu régulé. « Jamais dans ma carrière je n’ai vu un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d’une entreprise et une absence aussi flagrante d’informations financières fiables comme cela s’est produit », a dénoncé le nouveau patron de FTX, John Ray III, dans un document judiciaire déposé auprès du tribunal des faillites. La publication du bilan de FTX par Coindesk montre que FTX utilisait plus de la moitié des capitaux déposés par ses clients pour financer sa propre cryptomonnaie, le FTT, créée par sa deuxième entreprise crypto-financière, Almada Research. Le FTT, comme n’importe quelle autre cryptomonnaie, est régulé par sa demande. C’est un pari financier extrêmement risqué, car en cas de repli du marché, FTX perdrait tous ses actifs, et deviendrait insolvable pour 8 milliards de dollars de dette. Et c’est ce qu’il s’est produit. Quand le concurrent Binance a annoncé retirer tout son argent en FTT, la valeur du jeton s’est effondrée en sept jours, provoquant la faillite de FTX.

Codeur de dos. Photo par Marco Verch, sous licence CC BY 2.0.

Crise de confiance : voici tout simplement comment toute l’industrie de crypto peut disparaître. Le scandale de la chute de FTX est digne du nom de «Lehman Brothers » du monde crypto. On les croyait « too big to fail ». Pourtant le 15 septembre 2008, Lehman Brothers déclare sa faillite avec plus de 600 milliards de dollars de dette, et le système financier américain subit sa plus grosse crise depuis les années 1930. Aujourd’hui, l’écosystème crypto n’a jamais paru aussi criminel et inutile. En effet, même si le bitcoin et l’éther ne sont pas liés aux problèmes de FTX, beaucoup de « traders » ont dénoué leurs positions, liquidant, entre le 6 et le 13 novembre, pour 3,7 milliards de dollars de bitcoins et 2,5 milliards de dollars d’éthers.

À son apogée, en novembre 2021, la valeur de toutes les cryptomonnaies atteignait 3 trillions de dollars, et bitcoin, la plus grosse cryptomonnaie, se vendait à plus de 60 000 dollars. C’était l’âge d’or du crypto, pendant lequel des fortunes se généraient du jour au lendemain, comparable à des découvertes de pétrole. Les cryptomonnaies promettaient de transformer le monde bancaire. Mais depuis, la bulle crypto n’a fait que rétrécir : impactée par la flambée du prix de l’énergie et le resserrement monétaire des banques centrales, la capitalisation entière du crypto avait déjà rétréci de deux tiers. En juin, le prix du bitcoin s’est stabilisé autour de 20,000 dollars, soit 70 pour cent de moins que sa valeur en novembre 2021.

Pourtant, cette baisse des prix ne s’annonçait pas forcément comme la fin : le crypto avait déjà vécu des hivers pareils. En 2018, le bitcoin a perdu 65 pour cent de sa valeur en un seul mois. De plus, les prix d’actifs fluctuent tout le temps : les investisseurs de Meta ont perdu tout autant que les investisseurs de bitcoin. Les religieux de la crypto ne sont toujours pas prêts à abandonner. Cependant, la chute de FTX a révélé les échecs de l’industrie. La crypto est-elle condamnée à reproduire les erreurs des devises traditionnelles? 

Autre qu’être un actif spéculatif, les cryptomonnaies sont à la base d’une nouvelle vision pour le système financier : la décentralisation. Dans le système financier traditionnel, toutes nos opérations financières passent par l’intermédiaire d’institutions, qu’il s’agisse de banques ou de sociétés de cartes de crédit. C’est un système qui s’appuie sur la confiance des créanciers qui doivent être sûrs que leurs banques aient la capacité financière de payer leurs obligations dès qu’elles sont dues. Cela demande une infrastructure coûteuse et complexe pour soutenir ce sentiment de sécurité.  Si jamais ce sentiment est ébranlé, un grand nombre de créanciers d’une banque retireront simultanément leur argent, par peur que leur institutions n’aient plus d’argent dans le futur pour payer leurs obligations. Cet effet, connu comme « bank run », est un phénomène auto-réalisateur, car ce qui débute avec une crainte va réellement pousser les banques vers l’insolvabilité. En effet,  au fur et à mesure que les créanciers retirent leur argent, les réserves de la banque ne suffisent plus pour répondre à toutes leurs demandes.

À la suite de la crise financière de 2008, Satoshi Nakamoto a introduit le bitcoin, première cryptodevise, qui permet de faire des paiements sans passer par des intermédiaires grâce au « blockchain » : un réseau complexe contenant une liste d’opérations que tout le monde peut voir et vérifier. La blockchain est une base de données publique et permanente, en principe plus transparente et sécuritaire que les tenues de comptes traditionnelles car elle n’est pas sous le contrôle d’une seule autorité et il est impossible de changer leur contenu. La finance décentralisée portait la promesse de transformer le système financier vers un système qui ne s’appuierait pas sur la confiance, et serait donc moins coûteux et plus accessible.  

Mais alors, où se placent les plateformes d’échange dans l’écosystème crypto? Il y a plus de 500 plateformes d’échange de crypto; les plus grosses aujourd’hui sont CoinBase, Binance et Crypto.com. Elles permettent de vendre et d’acheter de la cryptomonnaie au lieu de les tenir dans un Wallet, des portefeuilles donnant accès aux cryptomonnaies mais jugés peu pratiques. Or, ces plateformes sont bel et bien des institutions financières qui prennent l’argent de leurs clients en échange de jetons cryptos à leur nom. Tout comme les banques, leurs services se reposent sur – attention – la confiance! De plus, alors que l’univers crypto promeut la décentralisation, 90 pour cent des volumes sont concentrés dans ces grandes plateformes centralisées. D’où le paradoxe : l’univers crypto, dédié a créé un nouveau système financier décentralisé qui ne repose pas sur un échange de confiance, fait la même chose que le système traditionnel… mais en pire.

Platforme de crypto exchange. Photo par rawpixel, sous licence CC 1.0.

Pas banques centrales, trop peu de régulations et consanguinité : la confiance qu’accordent leurs utilisateurs des plateformes d’échange est entièrement aveugle et extrêmement risquée. Dans le système bancaire conventionnel, la confiance accordée aux banques est soutenue par la validation des banques centrales, acteur de l’État, qui régulent leurs prises de risques et viennent au secours en cas de crash. Les banques centrales agissent comme « prêteur en dernier ressort » en fournissant en urgence des liquidités aux établissements bancaires dans le cas où ceux-ci ne peuvent pas couvrir leur trésoreries. Il n’existe aucune autorité dans le monde de la crypto. Ainsi, la chute de FTX signifie que des millions d’utilisateurs ne reverront plus jamais la couleur de leur argent. Pour beaucoup, ces sommes représentent plusieurs années d’épargnes qu’ils ne pouvaient pas se permettre de perdre.

De plus, les liaisons entre ces plateformes d’échange sont incestueuses : « toutes les sociétés se prêtent les unes aux autres et sont actionnaires et ou garantis les unes des autres ». Ceci rend l’industrie crypto encore plus instable. Comme des dominos, la chute de l’une menace toutes les autres. La première victime de FTX, Genesis Global Capital, a dû suspendre tous les retraits de sa plateforme après avoir remarqué des demandes anormales à la suite de la chute, des demandes qui ont dépassé ses liquidités. De plus, Block Fi, une plateforme américaine de prêt numérique, annonce un plan de licenciement massif pour rembourser ses créanciers. Et l’effet domino ne fait que commencer.

Le monde crypto, depuis l’apparence de ces plateformes d’échange, a évolué tel un système financier traditionnel : que des promesses et interdépendances. Sauf que, sans autorité qui joue le rôle de « lender of last resort », les crises financières sont davantage douloureuses pour les individus. 

Ainsi, l’univers incestueux de la crypto requiert davantage une gouvernance sécuritaire et plus que compétente. Cela est loin d’être le cas, car la chute de FTX est en partie due à la rivalité entre Sam Bankman-Fried et le PDG de Binance, Changpeng Zhao. En effet, après que Binance ait annoncé publiquement le retrait de ses fonds en FTT, menant à l’effondrement de FTX, SBF lui a tweetté « bien joué tu as gagné ». Pendant ce temps, des millions d’utilisateurs font le deuil de leur argent. 

Avec le manque de régulations, les plateformes peuvent faire des paris très risqués avec l’argent des utilisateurs. C’est ce que s’est permis FTX, basée aux Bahamas, en utilisant l’argent de ses clients pour spéculer pour son propre compte, une pratique dont l’interdiction a été renforcée aux États-Unis depuis la crise de 2008. 

Pourtant, le crypto est encore loin d’atteindre 0. La valeur totale du marché, bien qu’elle ait baissé de 70 pour cent depuis novembre 2021, reste tout de même plus élevée qu’au début de l’année dernière. Et le bitcoin, qui vaut 16 000 dollars aujourd’hui, valait seulement 9 centimes en 2010. Cependant, le rêve d’une décentralisation du monde financier est mort, le crypto s’étant transformé en un système financier traditionnel moins sécuritaire. Et plus l’univers crypto se montre vulnérable et criminel, moins on voudra s’en rapprocher. Il ne vaudra bientôt plus rien s’il continue à ressembler à un crypto-casino.

Edité par Thierry Prud’homme

En couverture : Actualités et données cryptographiques, Photo par QuoteInspector, sous licence CC.BY-ND 4.0