Liban – Irak : des mouvements qui mettent fin à l’alliance Chiite, rêvée par l’Iran ?

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Le Liban et l’Irak font face à des mouvements de contestation historiques depuis le mois d’Octobre, qui pourraient aboutir en un second “printemps arabe”. Les citoyens irakiens et libanais semblent unis dans leur lutte contre la corruption rampante et l’interminable crise économique. Ils souhaitent mettre fin à la structure de leur régime politique, basée sur des divisions communautaires et jugée responsable de l’inefficacité économique. Cependant, ces mouvements remettent aussi en cause un autre aspect de la vie politique libanaise et irakienne : la forte influence du régime théocratique chiite iranien. Ce dernier a bien saisi la menace que représente ces soulèvements et ne restera en aucun cas un observateur passif face à ces événements.

L’heure est à la révolte

De Beyrouth à Bagdad, les citoyens n’acceptent plus de se taire devant des situations économiques déplorables et des gouvernements globalement incompétents. Les services publics de bases, tels que l’accès à l’eau, l’électricité ou la gestion des ordures, ne sont même plus garantis. La cause de cette inefficacité chronique est évidente pour les protestataires : la corruption, engrenée à chaque niveau des systèmes politiques et économiques de ces deux pays. A ce problème bien identifié apparaît une solution tout aussi claire : le démantèlement des classes politiques actuelles, construites sur des fondations communautaires et confessionnelles, en faveur de gouvernements “technocrates” prêt à remettre l’intérêt du peuple au centre de ses actions.

Le gouvernement libanais a pour particularité, depuis 1943, d’être obligatoirement composée d’un président chrétien maronite, d’un premier ministre musulman sunnite et d’un président du Parlement musulman chiite. Le pays du Cèdre, caractérisé par ces profondes divisions communautaires, semble aujourd’hui protester d’une seule voix pour un changement radical du système. Et l’union fait la force : après seulement 13 jours de manifestations pacifiques, le premier ministre Saad Hariri et son gouvernement ont remis leur démission.

Le système politique irakien est lui aussi basé sur une répartition à base confessionnelle depuis 2003. Fortement contesté, le gouvernement de Adel Abdel-Mehdi n’a cependant pas encore cédé aux pressions de la rue et a, contrairement à son voisin libanais, décidé d’avoir recours à la force pour faire taire les revendications de son peuple. Après moins de deux mois de protestation, le bilan est sinistre : 319 personnes ont été tué au cours des manifestations.

Depuis début octobre, un mouvement protestataire historique secoue le Liban. Les manifestations ont poussé le premier ministre Saad Hariri et son gouvernement à démissionner le 29 Octobre dernier. Photo par Shahen Araboghlian est sous licence CC BY-SA 4.0.

Mais que lie ces mouvements protestataires à la puissance iranienne ?

Aux revendications socio-économiques ce sont mêlées, en Irak comme au Liban, de fortes revendications “anti-Iran”. Les slogans “l’Iran dehors” sont fondés sur une réalité commune au Liban et à l’Irak : l’importante influence de l’Iran dans leurs vies politiques respectives. Véritable “porte-flambeau du monde musulman chiite”, l’Iran a, à travers les décennies, dessiné un réseau d’influence chez ses voisins.

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Au Liban, l’influence iranienne se matérialise très clairement à travers le Hezbollah, la plus grande milice du pays. Faisant partie de la majorité au pouvoir au Parlement et alliée au Président Michel Aoun, le Hezbollah serait le grand perdant d’un changement de régime.

En Irak, l’influence Iranienne est également très présente. Amal, le principal groupe militant Chiite, repose par exemple grandement sur le soutien Iranien, et s’oppose aux manifestations actuelles.

L’ancien vice-président irakien, Tareq al-Hachemi, a posté sur Twitter un message de soutien aux manifestants irakiens le 16 novembre dernier.

Si l’Iran et ses “représentants” libanais et irakiens se montrent si hostiles aux mouvements protestataires, c’est que la République islamique accorde énormément d’importance aux liens qu’elle entretient avec ces deux états. L’influence de l’Iran le long de “l’autoroute chiite” reliant Téhéran, Bagdad et Beyrouth est au coeur de sa politique étrangère depuis la révolution de 1988. Les manifestations actuelles prouvent ainsi l’échec de la politique iranienne chez ses alliés : les citoyens libanais et irakiens apparaissent unis dans leur rejet du modèle iranien.

Enfin, les dirigeants iraniens sont conscients du risque de contagion des revendications libanaises et irakiennes. Les citoyens iraniens partagent les mêmes difficultés économiques et pourraient, comme ils ont fait en janvier 2018, descendre dans les rues pour clamer les mêmes slogans.

Agir, tant qu’il en est encore temps

Anxieux, le régime iranien a exprimé son opposition aux mouvements protestataires : “le peuple aussi a des exigences. Ces exigences sont justes mais elles ne peuvent être réalisées que dans le cadre de la loi”, a déclaré l’ayatollah Khamenei dans un discours télévisé.

L’Iran risque gros et ne laissera pas son influence dans la région ternir aussi facilement.
Selon les analystes, l’Iran serait déjà en train d’intervenir en essayant de fracturer l’unité des mouvements libanais et irakiens, en distançant les groupes chiites Hezbollah et Amal du reste des citoyens. Au Liban, cette stratégie semble déjà être en place. Le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a exprimé à plusieurs reprises son désaccord face aux manifestants et s’est opposé à la démission de Saad Hariri. Plus préoccupant encore, le Hezbollah semble essayer d’intimider par la force les citoyens pour les dissuader de manifester. Mardi dernier, un groupe de militants cagoulés, supposément membres de Hezbollah, ont frappé et détruit les tentes de plusieurs manifestants sur une des places principales de Beyrouth. Ce genre d’action, en décalage avec les manifestations précédentes, met en péril l’atmosphère jusqu’à présent pacifique et presque festive du mouvement. En Irak, Amal, le principal parti chiite, a aussi succombé à la violence.
Une autre tactique du régime iranien pour mettre un terme aux manifestations consiste à disséminer l’idée que les puissances occidentales seraient à l’origine des mouvements. Dans son discours, le guide iranien, Khamenei, accuse l’impérialisme occidentale : “Les Etats-Unis, les services de renseignement occidentaux soutenus par les fonds de quelques pays réactionnaires de la région sont en train de causer des troubles dans nos pays voisins, dans des pays dont nous sommes proches […] en vue de détruire la sécurité”. Ne pas protester serait alors le moyen de lutter contre les ambitions hégémoniques des Etats Unis. Cette accusation est amplement relayée par Hezbollah et Amal, mais ne semble pas encore avoir convaincu les foules.

Il est clair que les stratégies iraniennes n’ont pas encore suffit à faire taire les revendications citoyennes au Liban et en Irak. L’Iran pourrait s’en résoudre à jouer la carte de la violence, via le déploiement des ces milices locales. Nombreux manifestants redoutent en effet que leur printemps arabe soit prématurément interrompu par les forces iranienne.
Une chose est sûre, les mouvements libanais et irakiens ont mis en lumière la solidarité des citoyens au delà de leur appartenance communautaire. Par conséquent, l’ambition iranienne de renforcer son réseau chiite sera de plus en plus compromise par l’émergence de ces identités nationales.

Image de couverture : L’Ayatollah Ali Khamenei, leader suprême iranien, lors du 27ème anniversaire de la mort de Ruhollah Khomeini. Photo sous licence CC BY 4.0.

Edité par Elias Lemercier

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