Navalny : les tensions diplomatiques s’exacerbent entre Moscou et l’Europe

Avocat et militant politique russe, Andrei Navalny a été condamné, le 2 février dernier, à trois ans et demi de prison après avoir été accusé d’avoir violé les conditions de sursis d’une condamnation datant de 2014 pour détournements de fonds. Connu pour ses vidéos provocatrices à l’égard du Kremlin, Navalny est devenu l’ennemi numéro un du gouvernement russe et le principal opposant politique de Vladimir Poutine. Son emprisonnement, témoignant une nouvelle fois des pratiques autoritaires du Kremlin, pourrait exacerber les tensions existantes entre la Russie et l’Europe. 

Retour sur le cas Navalny 

Militant acharné et féroce critique du gouvernement russe, Andrei Navalny n’est pas nouveau sur les devants de la scène politique. Après avoir obtenu un diplôme de droit et étudié à Yale, il gagne en popularité grâce à un blog sur lequel il publie des articles dénonçant la servitude des politiciens russes et la corruption. En février 2011, souhaitant s’opposer à un nouveau mandat de Vladimir Poutine, il crée son propre parti dénommé Russie Unie et se porte candidat aux prochaines élections. À la suite de sa contestation des résultats, le gouvernement russe l’enferme pendant onze jours et qualifie le parti de Navalny de « parti des voleurs et des escrocs ».  C’est véritablement à ce moment-là que Navalny devient la figure de l’opposition dans les médias et la société. 

Le 20 août dernier, le vol de Navalny est forcé d’atterrir pour son hospitalisation d’urgence suite à son empoisonnement. La précédente ingurgitation d’un thé dans l’aéroport Sibérien rend Navalny d’abord malade puis le plonge dans un coma. Il sera alors emmené dans un hôpital sibérien, et transféré en Allemagne pour recevoir les soins nécessaires à son rétablissement. Encore en convalescence, Navalny explique ne pas être surpris par cette attaque.  Le 29 décembre 2020, alors qu’il poursuit son rétablissement à l’étranger, les autorités russes lancent une enquête contre lui pour « fraude à grande échelle ». Le dissident est soupçonné d’avoir détourné 3,9 millions d’euros (soit l’équivalent d’environ 4,8 millions de dollars canadiens) de trésorerie à des fins personnelles; des dons récoltés par différentes organisations ayant pourtant pour objectif de lutter contre la corruption. Conscient des conséquences judiciaires que son  retour en Russie engendrerait, Navalny décide tout de même de rentrer le 13 janvier, et est, dès son arrivée, conduit en détention par un tribunal. 

L’opposant contre-attaque toutefois et diffuse alors des images du « palais de Poutine », situé au bord de la Mer Noire, qu’il aurait acquis à travers ses relations et des agiles négociations de pots-de-vin. Visionnée plus de 107 millions de fois, la vidéo est devenue  virale et a permis à Navalny de renforcer sa tribune ainsi que l’ampleur des manifestations contre le pouvoir russe. Dès lors, des milliers de manifestants se rendent dans la rue pour lui apporter son soutien  et demander sa libération. La répression est sévère, et les forces de l’ordre arrêtent plus de 5 000 manifestants. L’organisation OVD-Info a déclaré qu’il s’agissait d’un « chiffre record dans l’histoire de la Russie moderne » au sujet de ces interpellations. 

Manifestation, photo de Maja Kucova, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

Des tensions diplomatiques grandissantes 

Sept ans après l’annexion de la Crimée, la liste des infractions est longue pour la Russie aux yeux des Vingt-Sept à laquelle s’ajoute les nombreuses campagnes de désinformation, les ingérences dans les processus électoraux à l’étranger, le soutien de la Russie à des dictateurs lors de conflits en Syrie, en Libye, ou encore son engagement dans le Haut-Karabakh. Tout cela ne fait que complexifier les rapprochements diplomatiques amorcés par l’UE. 

Ainsi, la politique de Vladimir Poutine – qui règne depuis plus de vingt-ans – ne coïncide pas avec les valeurs démocratiques promues par la législation européenne.  Parmi les nombreuses preuves de ce décalage, on peut citer la modification de la constitution effectuée par le Kremlin en 2008, allongeant le mandat présidentiel et permettant à Poutine de rester au pouvoir jusqu’en 2034. 

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Vladimir Poutine et Andreï Navalny. Photo de Krassotkin, sous licence CC BY-SA 4.0.

L’affaire Navalny n’est donc pas le seul facteur ayant contribué à la détérioration des relations russo-européennes. Après l’empoisonnement de  l’été dernier, l’Europe a ouvert une enquête indépendante et transparente pour en connaître les responsables. Plus récemment, les images des violentes répressions lors des dernières manifestations civiles ont alerté l’UE, qui a alors décidé d’envoyer l’un de ses représentants sur place.

Un point de non-retour?

Le 4 janvier 2021, Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne, s’est rendu à Moscou pour rencontrer, notamment, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov afin de « faire passer un message clair quant à nos positions sur les droits et les libertés ». Il avait alors affirmé que les relations diplomatiques étaient « au plus bas ».  Un diplomate estonien avait également déclaré être « partagé entre positions de principe et intérêts mercantiles » tout en admettant que les Européens n’avaient, en réalité, aucune vraie ligne  politique à tenir à l’égard de la Russie. 

Josep Borrell, photo de European Parliament, sous licence CC BY-2.0.

En guise de réponse aux déclarations européennes, Sergueï Lavrov a annoncé, le 5 février, la prochaine expulsion de diplomates polonais, allemand et suédois hors du territoire russe pour cause d’avoir participé a des manifestations « illégales » en soutien à Andrei Navalny. Cette décision témoigne de la volonté russe de refuser toute ingérence à l’égard de sa politique intérieure. La Suède et l’Allemagne ont toutes deux déclaré que ces expulsions étaient « complètement infondées »  et « injustifiées ».  

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, devra se pencher en mars prochain sur l’avenir des relations diplomatiques avec la Russie à l’occasion du sommet des chefs d’États des Vingt-Sept et peut-être envisager un projet de « sanctions additionnelles ». Pour l’heure, difficile encore de savoir si l’affaire marque réellement un point de non-retour dans la coopération entre l’UE et le Kremlin. Les récents rebondissements concernant l’ancien avocat Navalny exacerbent les tensions entre l’Europe et la Russie, déjà bien ancrées, mais il paraît difficile d’affirmer qu’elles seront responsables d’une rupture irréversible. Emmanuel Macron a ainsi affirmé qu’il était indispensable de continuer le dialogue avec la Russie pour permettre « la paix et la stabilité européenne ». 

Malgré des déclarations semblant condamner les pratiques autoritaires du Kremlin, l’Europe continue de bénéficier des relations de libre-échange avec la Russie. Les Vingt-Sept tentent de faire flancher la Russie avec de possibles sanctions. Or, pour que ces dernières soient appliquées, les États-membres doivent unanimement le décider. Alors qu’ils avaient réussi à se mettre d’accord sur la mise en place de sanctions contre la Russie lors de l’annexion de la Crimée et après l’empoisonnement de Navalny, on remarque actuellement un manque de coordination des États-membres. Ces déclarations et l’absence d’une politique commune des Vingts-Sept marque un certain niveau d’hypocrisie dans l’attitude européenne. Avec les récentes restrictions du droit à l’avortement passées en Pologne et les tendances autoritaires de Viktor Orbán en Hongrie, l’UE doit, aujourd’hui plus que jamais, parvenir à crédibiliser ses réprimandes et ré-affirmer son attachement aux valeurs démocratiques.

Edité par Anja Helliot.

Photo de Couverture: Andreï Navalny, photo de Oleg Green, sous licence CC BY-NC 2.0.